Mehdi : en pleine bataille, questions sur le pacte de lecture
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Mehdi : en pleine bataille, questions sur le pacte de lecture

Autant l'avouer d'emblée : l'affaire Mehdi Meklat me fait prendre conscience avec accablement

de ma totale débranchitude. L'importance du jeune écrivain-éditeur-twittos, sa stature de porte-parole médiatique des petits-gars-des-banlieues-qui-ont-échappé-à-la-fatalité-du-deal-dans-le-hall-d'immeuble, m'avait jusqu'alors totalement échappé. Je n'écoutais pas l'émission de Pascale Clark -trop tardive pour les matinautes. Je n'avais pas capté que l'interview-interrogatoire, dans le Bondy blog, de l'étrange ministre Laurence Rossignol qui avait parlé de "nègres", c'était lui. J'ai eu entre les mains sa revue Téléramadan, co-éditée avec Mouloud Achour, de Canal+, en me demandant ce qu'on allait bien pouvoir en faire sur le site -et sans trouver la réponse. Et dans son dernier roman, Minute, écrit à quatre mains avec son binôme Badroudine Said Abdallah (dit Badrou), j'ai fait quelques coups de sonde, peu encourageants jusqu'ici. Sans "l'affaire", le livre était promis à l'engloutissement sous les piles. Circonstance aggravante, je n'avais jamais entendu parler du compte Twitter de Marcelin Deschamps. Comme on peut passer à côté de son époque, ça rend humble.

A ce stade, et si vous vous informez sur BFMTV ou chez Delahousse, vous vous demandez peut-être de quoi je parle. Je vous incite donc à vous reporter à notre synthèse très complète de l'affaire du gentil chouchou des medias qui débitait sur Twitter des horreurs antisémites et homophobes. Elle est là. On se retrouve juste après.

Donc, quand je vois comment depuis trois jours la réacosphère s'énerve en jubilant, comment la bobosphère jette le bonhomme aux chiens et court aux abris, je suis bien obligé de constater qu'on est soudain plongés au milieu d'une bataille décisive. D'un côté, donc, Eugénie Bastié, du Figaro, Pierre Sautarel de FDesouche, Marion Maréchal-Le Pen -avec le dessinateur Joann Sfar coincé au milieu. De l'autre, euh. Pas grand monde. Toute la bobosphère présumée complice s'est transformée en escadron de cibles mouvantes : Les Inrocks, Pascale Clark, le Bondy blog, Christiane Taubira, Mouloud Achour. C'est à qui enfoncera mieux Meklat, pour tenter de sauver sa peau, et la cause. Le directeur des Inrocks Siankowski, Taubira, exigent du coupable une introspection salutaire. François Busnel, qui a invité le binôme pour son dernier livre, proteste qu'il ne savait rien. Le Bondy blog n'a rien à voir avec tout ça.

Au milieu, Meklat explique que ce n'était pas lui l'horrible antisémite et homophobe, c'était juste son personnage, Marcellin Deschamps. La vieille dichotomie auteur-personnage. Mon estimé confrère de Mediapart Joseph Confavreux estime que dans le cas d'espèce l'alibi de cette dichotomie ne tient pas. Mehdi, en effet, "ne s’est en effet pas servi de ce personnage pour un travail d’humour, de littérature, de fiction ou de journalisme". Peut-être pas. Mais un sacré travail de dévoilement politique, en tout cas. Pour une performance de kamikaze, c'est une performance réussie.

La dichotomie auteur-personnage tient quand le pacte de lecture est clair. L'était-il ? Etait-il énoncé quelque part ? De manière publique ? Etait-il seulement clair dans la tête de l'auteur ? Apparemment pas tout à fait. Et tout le monde s'en accomodait. De ce que je comprends, la situation est devenue intenable quand Meklat a modifié son compte Twitter, pour le transférer sous sa véritable identité, sans pour autant effacer les tweets immondes. J'imagine que c'était pour garder son petit portefeuille de dix mille followers. Hé hé. On n'y renonce pas si facilement, à son petit capital. Eh oui Mehdi, ce ne sont pas seulement les Juifs, qui sont cupides (attention, humour !)

Eh, défenseurs de la Justice pour Adama, adversaires du contrôle au faciès et du viol à la matraque télescopique, combattants des quartiers contre la relégation urbaine, calmez-vous ! Personne ne vous soupçonne vraiment de penser vous mêmes ce que crachait Marcelin Deschamps, même si la réacosphère pousse son avantage. Ce qu'on reproche aux soutiens médiatiques de Meklat, c'est leur complaisance avec le compte immonde. Mais le connaissaient-ils ? (Apparemment oui, s'agissant du directeur des Inrocks). Savaient-ils que Deschamps était Meklat ? Ont-ils cherché à en parler avec l'auteur lui-même ? Ont-ils toléré cette confusion, et au nom de quoi ? Avant toute poursuite des hostilités, ce sont les questions qu'il faudrait éclaircir. Eh oui. Si vous voyez un type, sous la mitraille du champ de bataille, son carnet à la main, qui pose des questions sur le pacte de lecture, ne cherchez pas : ce sera moi.

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