Congé de naissance : enfumage et complaisance médiatique
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Congé de naissance : enfumage et complaisance médiatique

Quand les médias reprennent les éléments de langage du gouvernement

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Comment l'annonce de la suppression d'un droit qui bénéficie très majoritairement aux femmes a été repeinte en un "progrès majeur" sans que grand monde ne s'en émeuve et comment les médias se contentent de reprendre les éléments de langage du gouvernement sans (trop) réfléchir.

Le 16 janvier dernier, la conférence de presse d'Emmanuel Macron, diffusée sur huit chaînes de télévision, atteignait le petit score de 8,7 millions de téléspectateurs parmi lesquels (presque) toute ma "timeline" de confrères et de personnalités politiques et militantes. Son discours "vieille France" et son injonction au "réarmement démographique" censé contrer la (très très grave) baisse de la natalité suscitaient l'ire des féministes et politiques de gauche. La secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier convoquait (non sans démesure) La Servante Écarlate de Margaret Atwood. Anne-Cécile Mailfert tweetait en majuscules : "LAISSEZ NOS UTÉRUS EN PAIX". "Les utérus des femmes ne sont pas une affaire d'État", martelait également Sandrine Rousseau dans la matinale de TF1. Mais aussi des dizaines de posts instagram (comme ici, ici ou encore ici) et tout autant de billets, chroniques ou tribunes (comme celle de Mathilde Larrère, ou de figures du PS).

Faux progrès, vraie régression

Une obsession pour la rhétorique macronienne, au point d'en oublier une annonce, à mon sens bien plus inquiétante et qui semble être passée – du moins dans un premier temps – sous les radars. Je vous propose de vous en indigner avec moi, dans cette espèce de "contre-calmos". Parmi les solutions miracles visant au "réarmement démographique", le président a annoncé la suppression du congé parental et son remplacement par un "congé de naissance" : "Il sera mieux rémunéré et permettra aux deux parents d'être auprès de leur enfant pendant six mois s'ils le souhaitent", a-t-il promis, comme s'il annonçait un merveilleux progrès. Avant de préciser qu'il sera aussi "plus court que le congé parental actuel".

Le congé parental

Le congé parental est ce congé longue durée qu'un parent peut prendre APRÈS son congé maternité / paternité et qui lui permet de suspendre ou réduire son activité professionnelle jusqu'aux trois ans de l'enfant et son entrée à l'école. Il fait l'objet d'une aide financière faible : la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prepare), à hauteur d'environ 429 euros par mois. Et il est très majoritairement pris par les mères puisque 14% d'entre elles en bénéficient, contre moins de 1% des pères (chiffres de l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques).

Le lendemain matin, Aurore Bergé en SAV sur Sud Radio (glissant au passage quelque fake news) précisait que ce nouveau congé de six mois incluait le congé maternité / paternité. S'il est question de six mois par parent, c'est donc six mois EN TOUT, congé maternité (16 semaines, réparties en 6 semaines de congé prénatal et 10 de congé post-natal) et paternité (28 jours soit à peu près 4 semaines) compris. Pour faire simple, l'on est bel est bien en présence d'une régression et d'une perte de droit. Ce droit, c'est celui de pouvoir se mettre en congé avec la garantie de retrouver plus tard son poste puisque les employeurs ont obligation d'accepter les demandes de congé parental de leurs salariés. Ce que la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes qualifie de "progrès formidable" qui laisserait aux parents "plus de liberté, plus de choix" est en réalité un recul des droits qui ne dit pas son nom.

Quand les médias reprennent les éléments de langage du gouvernement

Pourtant, la grande majorité des médias reprennent les éléments du gouvernement et proposent des papiers "factuels" en mettant en avant le même argument que Macron à savoir la meilleure rémunération du congé. Actu.fr, le Huffington Post, BFM TV, 20 Minutes, le Monde, Ouest France, la Croix, Sud-Ouest et plein d'autres, nous offrent des premiers articles où le travail journalistique se limite à la rédaction de "récap'". Très peu de mise en perspective. Aucun esprit critique. Rien. Nada. Comme si notre rôle était de faire passer et vulgariser les annonces officielles, ni plus ni moins.

Le Parisien évoque une annonce qui "tombe à pic" et présente "un nouveau congé de naissance, mieux rémunéré, pour remplacer l'actuel congé parental". "Une manière de permettre aux femmes de reprendre le travail plus tôt, et de permettre aux pères d'être plus investis", résume de son côté TF1. De même pour les différents JT du lendemain qui, eux-aussi, se contentent de reprendre les annonces présidentielles sans détailler les risques que cela implique. "Force est de constater que cette nouvelle mesure ne semble pas totalement inopportune", écrit également le média spécialisé Parents. Idem pour les Maternelles qui reprend telles quelles les citations présidentielles, ou encore pour Madmoizelle qui livre pourtant un article relativement critique. Mais rien sur le congé de naissance.

Seuls quelques médias mettent en perspective le peu que l'on sait à ce moment-là de ce nouveau congé. Le Figaro présente les annonces ainsi : "La réforme ne permettra plus aux parents d'être rémunérés au-delà de six mois d'un congé parental incluant congé maternité et congé paternité". On commence à voir un peu plus clairement ce que l'on perd. France Bleu, qui excelle aussi en maths, pointe la supercherie : "Ce congé naissance pourra être de seulement deux mois pour les femmes, après leur congé maternité".

Personnalités de gauche et féministes aux abonnés absents

Libération affirme que l'annonce suscite "la même frilosité qu'à l'été" mais se contente pour seule critique de reprendre celle d'une personnalité de gauche peu connue. Celle d'Azelma Sigaux, porte-parole du parti d'écologie radicale Révolution écologique pour le vivant. Idem pour l'Obs, qui reprend le même tweet, ainsi que celui du porte-parole de groupe socialiste à l'Assemblée, Arthur Delaporte, quasi seul politique à avoir un mot sur le sujet. En dehors de quelques autres exceptions, c'est le désert à gauche. De sorte que c'est à droite (Bruno Retailleau) ou à l'extrême droite (Éric Zemmour) que l'on trouve les critiques les plus cinglantes.

Le flou des annonces des premiers jours ("a priori peut être six mois" annonçait encore timidement Prisca Thevenot sur France Info) et les nombreux points d'interrogation expliquent en partie ce silence. "Vous me demandez mon avis sur le congé de naissance. J'peux pas avoir d'avis parce qu'on connaît pas le projet de loi", bottait prudemment en touche, la sage-femme Anna Roy, suivie par plus de 226 mille abonnés sur Instagram. Même son de cloche du côté de l'association Parents et féministes, tout en regrettant de ne pas avoir été consultée par le gouvernement

Si la présidente du Conseil de la famille au sein du Haut Conseil de la famille et de l'enfance, estime que cette modification "est une bonne idée", quelques voix se sont tout de même élevées par-ci par-là pour exprimer une vive inquiétude: "Remplacer les trois ans du congé parental par six mois de congé de naissance, ce n'est pas acceptable", dénonce la secrétaire générale de la CFDT sur France Info. "Congé parental : ça sent l'arnaque", s'exclame Lutte Ouvrière sur son site. "Encore des économies sur le dos des familles !", tweete Pascale Morinière, Présidente de la Confédération nationale des Associations Familiales Catholiques. "Une durée de un an me parait plus juste, 6 mois c'est vraiment très court", estime de son côté, Isabelle Filliozat, papesse de l'éducation positive et ancienne vice-présidente de la commission des "1.000 premiers jours de l'enfant", sur RMC.

INDIGNATIONS DES CONCERNÉES

Ce flou n'a pas empêché les premièr(E)s concernées de s'inquiéter de cette réduction drastique du temps de congé parental sur Twitter (moi la première): "Supprimer des droits sociaux en parlant d'une 'nouvelle liberté', toute la dégueulasserie du macronisme en un tweet" ; "Ce que vous appelez « avancée » est une régression sans nom" ; "C'est un recul social massif, qui supprime la possibilité pour les mères de rester près de leur enfant 1, 2 ou 3 ans avec la garantie d'un retour à leur poste !" ; "Le congé parental n'est pas transformé, il est SUPPRIMÉ !".

Étonnamment, les réactions aux premières annonces d'Aurore Bergé sur le sujet en juillet dernier avaient été plus virulentes et plus massives. Et ce, alors même qu'elle suggérait à l'époque que ce congé pourrait coexister avec le congé parental actuel. Ce qui aurait tout changé ! "Vous ne pouvez pas faire une pause dans votre massacre du système social. Même quelques semaines, qu'on ait le temps de respirer un peu?", avait réagi Sandrine Rousseau alors que Judith Aquien y voyait dans Libération une "catastrophe absolue"À l'époque, un sondage mené par YouGov pour le Huffington Post établissait que 53 % des femmes ne voulaient pas de ce congé raccourci. 

Un recul social massif

Cette annonce est un recul social massif à plusieurs égards. C'est avant tout, une perte de droit substantiel puisque cette mesure supprime la garantie pour les parents qui s'arrêtent de retrouver leur job après le congé. C'est également un effet d'annonce. En réalité, ce n'est pas six mois de congé parental puisque cette durée comprend le congé maternité / paternité comme le relève une internaute : "6 mois dont 4 mois sont déjà un acquis pour toutes les françaises, cela ne fait que 2 mois de plus !". Cela revient d'ailleurs plus à une prolongation du congé maternité / paternité et à une suppression pure et simple du congé parental de longue durée. En bref, de la poudre de perlimpinpin.

La mesure censée, rappelons-le, encourager à procréer, semble largement contre-productive : l'incertitude d'avoir un mode de garde et de ne pouvoir garder soi-même son enfant au-delà de 6 mois sans perdre son job, risque d'effrayer plus d'un couple. Enfin, la question des modes de garde est essentielle. La France fait face à une crise inédite en la matière. Comme le révélait en septembre dernier une étude de l'UFC Que-Choisir, la capacité d'accueil par un mode de garde formel (crèche ou assistants maternels principalement) exclut quatre enfants sur dix. Si le congé parental est parfois un choix des mères qui veulent rester auprès de leur enfant jusqu'à leurs deux ou trois ans, l'étude révèle que dans 37 % des cas, c'est faute de solution de garde, comme dans près de la moitié des cas pour le recours aux grands-parents.

Pour bénéficier d'un congé total d'une année (ce qui est en général recommandé pour le bien des nourrissons), les deux parents seront contraints de prendre leurs congés séparément. Or l'on sait que la solitude précoce des mères en congé maternité favorise la dépression du post-partum. Et si, même après une année de congés cumulés, ils n'ont pas de moyen de garde extérieure ? L'ambition affichée de "ramener les femmes vers l'emploi" risque, ici aussi, d'être salement contrariée. Cela risque fortement de les en éloigner puisque faute de moyen de garde, certaines seront contraintes de démissionner ou de perdre leur emploi et se retrouveront au chômage ou au RSA afin de garder leurs enfants. C'est de cela que certains commencent à s'inquiéter, maintenant que l'Élysée a révélé quelques infos supplémentaires, ce 22 janvier, revenant au passage sur la possibilité de prendre le congé en même temps pour les deux parents. Jocelyne Cabanal de la CFDT dans les Échos : "Le congé parental offre la possibilité de retourner dans l'emploi. Si les gens sont obligés de démissionner pour gérer leurs problèmes d'accueil, on ne les retrouvera pas [sur le marché du travail] au bout du bout"Sacré"progrès majeur" !

Un enfumage pour faire des économies ?

Au micro de Sud Radio, Aurore Bergé n'a pas caché le fait que l'incitation ciblait "les classes moyennes"Par ailleurs, une avocate en droit social interrogée par l'AFP reconnaît que ce congé de naissance est une mesure "intéressante pour les entreprises" puisque, à l'échelle du marché actuel, "trois ans, c'est une éternité", et devoir remettre le salarié à son poste d'origine peut s'avérer compliqué. En bref, les femmes sont appelées à faire des gosses mais à vite retourner bosser ensuite. 

La dernière réforme du congé parental (2015) instituait que chacun des deux parents ne peut prendre que 24 mois maximum. Autrement dit, pour bénéficier d'une troisième année de congé parental, il fallait que celle-ci soit prise par le deuxième parent. Si l'objectif affiché à l'époque était d'inciter les pères à y recourir et de limiter l'éloignement professionnel des mères, il a surtout permis de faire économiser à l'État 1,2 milliard d'euros entre 2014 et 2022 puisque, pour un tas de raisons qu'on ne détaillera pas ici, les hommes ne prennent pas ou presque de congé parental. Faire des économies. N'est-ce pas là l'ambition réelle du gouvernement ? 

Le 18 janvier, Sylvain Maillard, président du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale se laissait aller à quelques confidences sur France Info. "Est-ce qu'il y a un objectif caché derrière ? Est-ce que l'objectif au fond c'est pas de faire des économies ?", lui demandait le journaliste Jérôme Chapuis. "Nous sommes dans un moment où le quoi qu'il en coûte est derrière nous, il faut faire attention à l'argent public qui est quelque chose de rare", lâchait le député. "Si je comprends bien, l'objectif c'est que ce nouveau dispositif coûte moins cher ?". Hop hop hop. Rétropédalage express. 

"Comment accepter qu'en 2024 des femmes renoncent à leur désir d'enfant, le reportent au risque que ce soit trop tard parce qu'elles ont peur des conséquences sur leur vie professionnelle ?", s'interrogeait Aurore Bergé dans l'émission Question Politique. Une très bonne question qu'on a bien envie de lui retourner. Tout comme celle-ci : si vos réelles motivations sont l'égalité homme-femme et la liberté de choix des parents, pourquoi ne pas avoir conservé le congé parental longue durée pour ceux, et surtout celles, qui le souhaitent ou qui n'ont pas le choix de s'arrêter faute de moyen de garde ? Le congé parental actuel est mal rémunéré, c'est un fait. Et il est relativement peu utilisé par les mères (même si 14%, ce n'est pas rien !) et quasiment pas par les pères, c'est indéniable. Alors pourquoi ne pas revaloriser sa rémunération ? Dans une époque d'inflation où les maternités ferment un peu partout, où le système de santé comme celui de la petite enfance sont en grande difficulté, pourquoi enlever un droit de plus aux femmes ? Pourquoi prendre le risque de les précariser encore plus et, au final, de les décourager de faire des enfants ? 

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