Primaire - 38 : acheter une cravate, et lire L'Obs à la loupe
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Primaire - 38 : acheter une cravate, et lire L'Obs à la loupe

La primaire, mon scooter, et moi (2)

"- Alors, tu l'as achetée ? Tu vas la choisir de quelle couleur ?

- Quoi ?

Cette fois, je n'ai pas été étonné. Depuis la veille, j'avais bien compris que jusqu'à la primaire de la droite et du centre, à laquelle j'ai annoncé que je participerais, mon scooter ne me lâcherait pas. Il me harcèlerait de ses objections et de ses sarcasmes.

- Ta cravate ! Je parle de ta cravate. Tu n'as pas écouté France Culture ce matin ? Ils ont parlé de toi cinq bonnes minutes. Enfin, de toi. De tous les électeurs de gauche qui vont aller voter à la primaire de droite pour éliminer Sarkozy. Et certains d'entre eux expliquent qu'ils vont s'acheter une cravate, pour passer inaperçus dans la queue.

Je n'avais pas pensé à la file d'attente. Comment se comporter dans la file d'attente ? Comment ça marche, une file d'attente d'électeurs de la droite et du centre ? Est-ce qu'ils fraternisent ? Bruyamment ? Discrètement ? Est-ce qu'ils parlent de leurs impôts ? Est-ce qu'ils se donnent des bonnes adresses à Genève ? Est-ce qu'ils se plaignent de leur personnel de maison ? Et à propos, comment ferai-je pour identifier, dans la file d'attente, les autres infiltrés, mes frères et soeurs ? Il faudrait qu'on mette au point un signe de reconnaissance. Discret, pour ne pas se faire sortir à coups de parapluie. Mais clair. Quelque chose de rouge, par exemple. Un foulard ? Des baskets ? Ou la cravate, justement. Mais les filles ?

- Bon, sérieusement, a-t-il poursuivi, tu as lu ce que dit Hollande, dans son interview à L'Obs ?

Il a fallu que j'hérite du seul scooter capable de me piéger sur les extraits d'une interview de Hollande à L'Obs, un mercredi matin. Bien sûr, que j'ai lu ces bonnes feuilles au réveil. J'ai même noté que Hollande, de bon matin, avait re-tweeté le tweet de L'Obs annonçant cette couverture. Et j'ai aussi noté que la phrase-titre, "Je suis prêt", ne figure pas parmi les extraits publiés, ce qui révèle la nature profonde de cette interview et de cette couverture : une note de service officieuse de l'Elysée. Je suis un matinaute consciencieux, même si un peu troublé, ces derniers temps, par cette rebellion mécanique inattendue.

Mon scooter et moi, on a récité en même temps la phrase-clé de Hollande, sur cette affaire d'infiltration de la primaire de droite : "Si nous installons l’idée que pour éviter l’extrême-droite il faut voter pour la droite, eh bien, à ce moment-là, il n’y aura plus de gauche".

Il faut reconnaître que c'est un vrai argument. Il faudrait bien y répondre un jour. En attendant, j'ai tenté de détourner la discussion:

- Franchement, toi, un authentique scooter de gauche, la vraie gauche, la pure gauche, tu lis L'Obs, maintenant ? Tu as vu comment ils ont viré leur directrice adjointe, Aude Lancelin, par accord honteux entre ton Hollande et l'ogre des télécoms, propriétaire du journal, Xavier Niel ? D'ailleurs, je suis en train de lire le livre qu'elle publie ces jours-ci, et j'ai bien envie de l'inviter à l'émission. Sur la perdition intellectuelle de ce journal, L'Obs, un des derniers à soutenir une soi-disant gauche qui a perdu tous ses repères, son livre est lumineux. "Le petit poumon malade du PS, encore utile pour éviter l'ultime apoplexie d'un parti traitre à toutes ses promesses, prêt à se suicider en soutien à un chef d'Etat discrédité", etc. Ça envoie du pâté !

Là, j'ai senti que je marquais un point. Dans la posture éthique qu'il tentait d'adopter vis à vis de moi, il ne pouvait pas décemment défendre le journal des milliardaires et des banquiers. J'ai poussé mon avantage.

- D'ailleurs, toi qui lis tout, j'imagine que tu as lu aussi la réponse de Hollande, sur ce désastre de la déchéance de nationalité. Il dit qu'il regrette. Et là, miracle, les journalistes le poussent dans ses retranchements. Que regrette-t-il vraiment ? L'échec de la tentative de réforme, ou le fait même d'y avoir pensé ? Et tu as vu sa réponse ?

- Silence

- Exactement. Dans un acte d'impertinence inouïe, les journalistes de L'Obs ont écrit "silence". Ça montre quoi, selon toi?

Il se taisait, maté. Jamais le ronronnement de son moteur n'avait été plus régulier, plus patelin.

- Ça montre qu'il ne sait pas quoi répondre. Qu'il est exactement arrivé à son point aveugle, au point où à force de virtuosité tactique, on a perdu de vue ses convictions, si l'on en avait. Et la voilà, la gauche que tu veux sauver ?

J'avais marqué un point.

(A suivre)

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