Mélenchon, Lucette, et les poissons rouges
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Mélenchon, Lucette, et les poissons rouges

Décidément, dès que Mélenchon s'en prend aux journalistes

, il a le don irritant de nous ramener à la défense de la corporation honnie. Oui, même nous. Même ici. Même moi.

Dans un beau texte de son blog, Mélenchon s'adresse à Lucette, l'infirmière lorraine retraitée qui a reçu la fameuse visite de Hollande, après que la mairie socialiste locale ait nettoyé, meublé, fleuri, et fourni en café son appartement. Mélenchon souhaite la réconforter : la malheureuse, poursuivie par la presse, a été obligée de se réfugier chez sa fille. Et Elle est tombée dans l'escalier, sous le coup de l'émotion. Oui, pauvre Lucette. Bien sûr qu'on soutient Lucette, avec Mélenchon. Soit dit en passant, on préférerait l'appeler par son nom de famille, Lucette Brochet. Même les infirmières retraitées, parait-il, ont des noms de famille. Mais passons. Mélenchon a opté pour Lucette (peut-être la connait-il, après tout), ce sera Lucette.

Le problème, c'est que parmi les persécuteurs de Lucette, Mélenchon renvoie dos à dos les instigateurs du coup de com' présidentiel, les petits génies de l'Elysée, et les journalistes qui ont ensuite contre-enquêté sur ce coup de com'. Avec cet argument décisif : "dès le premier instant il n’y a pas une seule personne dans ce pays qui ait pensé une seconde autre chose (qu'à un coup de com' présidentiel, NDR) tant la ficelle est grosse". Autrement dit, à quoi bon révéler que les chaises, les fleurs, le café étaient municipaux, ça crevait les yeux.

Si vous avez quelques minutes aujourd'hui, Jean-Luc Mélenchon, regardez donc Maïssam, Lunaïnn, Minyana, Mohammed, Myriam, Souhira, Melina, et Ilmann. Ce sont des collégiens parisiens, en classe de 5e. Nous leur avons montré cette semaine la séquence originelle du café fatal. Et puis, nous leur avons montré le reportage de Salhia Brakhlia, sur BFMTV, dans lequel Lucette, en toute innocence, raconte la mise en scène. Particulièrement, regardez les visages de ces collégiens, à l'instant où ils découvrent la supercherie. Regardez leur effarement. Ecoutez leur déception. Demandez-vous si après cette révélation, ils ne deviendront pas de meilleurs citoyens. Et revenez ensuite nous expliquer que "pas une seule personne dans ce pays" n'avait gobé la supercherie élyséenne.

Je vais vous donner un scoop, Jean-Luc Mélenchon, un scoop qu'un esprit subtil comme le vôtre doit être capable d'assimiler : il y a journalisme et journalisme. Il y a journalistes et journalistes. Sans doute, oui, dans ce pays, aujourd'hui, les medias étant ce qu'ils sont, leur système économique étant ce qu'il est, le journalisme est-il majoritairement composé de "ces meutes errantes avec des mémoires de poissons rouges". Oui. N'empêche que subsistent, dans les interstices, bien cachées, de vraies pépites d'investigation, de reportage, de pédagogie, veilleuses qui nous rappellent que la presse fut naguère, parfois, dans certaines circonstances, un contre-pouvoir émancipateur, avant de devenir l'abrutissoir mercantile qu'elle est devenue. De la pédagogie, même à BFMTV ? Il faut bien croire. Le reportage de Brakhlia chez Lucette est loyal, digne, rigoureusement professionnel, et on aurait aimé le faire nous-même (décidément, on aura tout vu. Je prends la défense de BFMTV).

Si je prends le temps de vous expliquer cela, Jean-Luc Mélenchon, c'est par estime pour vous. Avant de s'abâtardir en procédé mécanique, votre critique radicale de la presse procéda jadis d'une réflexion d'une grande finesse, et d'un grand courage. Je ne perdrais pas de temps à raconter la presse à une Morano ou un Cambadélis. Mais de vous, c'est ainsi, on attend toujours davantage, toujours mieux. Vous me direz que tout bien pesé, BFMTV aurait peut-être gagné à attendre cette contre-enquête, avant d'offrir mécaniquement de l'audience au coup de com' de l'Elysée. Sur ce point, nous nous rejoindrons.

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