Cela fait plusieurs années que les experts de la Phillips Collection de Washington étudient ce tableau de la période bleue. Un conservateur, raconte Associated Press, nota dès 1954 que les coups de brosse visibles sur la toile ne correspondaient pas à l'image de cette femme prenant son bain. Plus tard, dans les années 1990, les rayons X révélèrent la présence d'une peinture sous la peinture. En 2008, un premier passage aux infrarouges permit de dire qu'il s'agissait, sans beaucoup plus de précisions, d'un portrait.

Aujourd'hui on le sait, il s'agit de celui d'un homme barbu portant veste et lavallière qui repose sa joue contre sa main droite dont trois doigts sont ornés de bagues. Picasso a ensuite retourné le tableau dans le sens horizontal, y a peint La chambre bleue.

Le tableau horizontal, avec les deux images qui se superposent :

Photo © AP

Le tableau vertical, avec le portrait de l'homme aux trois bagues mis en évidence :

Photo © AP

Qui est cet homme ?, se demandent les conservateurs. Pourrait-il s'agir d'un portrait du marchand d'art Ambroise Vollard ? Peut-être, car celui-ci exposa en 1901 des oeuvres de Picasso. Mais aucun document n'atteste l'existence d'un tel portrait.

Or donc, la rédaction d'Arrêt sur images, qui ne recule devant rien, vous propose de mener l'enquête. Saisissons-nous d'une loupe à fort grossissement…

… et comparons cette image avec des portraits peints du marchand :

Ambroise Vollard par Paul Cézanne, 1899

Ambroise Vollard par Pierre Bonnard, 1904

Ambroise Vollard par Pierre Auguste Renoir, 1908

Ambroise Vollard par Picasso, 1915

Ambroise Vollard par Pierre Bonnard, 1924

Alors ? Qu'en pensez-vous ? Le portrait de cet inconnu est-il celui d'Ambroise Vollard ? L'homme est assez ressemblant, en effet. Surtout avec le portrait de Cézanne, peint en 1899, qui nous montre le marchand d'art chevelu. On notera, sur le portrait de Picasso, la calvitie naissante qui n'a fait que progresser les années suivantes…

… comme en attestent Bonnard en 1904 et Renoir en 1908 :

Mais à ce faisceau de présomptions on pourrait opposer un argument de poids : aucun des portraits peints par Cézanne, Bonnard, Renoir et même Picasso (en 1915) ne montre un Vollard avec une main droite garnie de trois bagues. Le mystère reste donc entier pour l'instant.

L'occasion de lire ma chronique intitulée La beauté du geste, dans laquelle il est fortement question de Picasso.

Photographie de Gjon Mili pour le magazine Life, 1949