El Diario, journal de la ville la plus dangereuse du monde (Télérama)
Brève

El Diario, journal de la ville la plus dangereuse du monde (Télérama)

Au Mexique, certains journalistes sont reporters de guerre par la force des choses.

Dans un reportage impressionnant, Télérama raconte la résistance d'un journal local dans Ciudad Juárez, ville ravagée par la guerre entre les cartels de narcotrafiquants et le gouvernement.

Comment informer dans une ville qui comptait dix assassinats par jour en 2010 ? Le défi est de taille pour le journal local El Diario. Julie Pecheur est allée rencontrer la rédaction du journal quotidien de Ciudad Juárez, au Mexique. Son reportage, publié le 4 août dans Télérama, fait froid dans le dos : les journalistes, qui ont toujours été sous la pression des cartels, sont totalement dépassés par la violence depuis 2008.

Cette année-là, le président Felipe Calderon a déclaré la guerre aux narcotraficants, avec l'aide de l'armée et de la police nationale. Les narcotraficants n'ont pas été écrasés, mais les cadavres se sont accumulés: selon le décompte d'El Diario, les 320 assassinats de 2007 sont devenus 3 115 en 2010. Pourquoi une telle violence dans cette ville en particulier ? Séparée des Etats-Unis par le seul Rio Grande, Ciudad Juárez est "un poste-frontière stratégique pour les Cartels, qui se le disputent depuis 2007", explique Julie Pecheur. L'arrivée de l'armée n'a pas franchement apaisé la situation. Noyés par l'avalanche de meurtres, les journalistes se trouvent incapables d'enquêter sur chacun d'entre eux.

Ils sont peu à peu devenus "des reporters de guerre", en première ligne pour constater les homicides. "On arrivait sur les scènes de crime alors que les tueurs y étaient encore, confirme Lucio Soria, un photographe de 60 ans. Parfois, c'étaient même eux qui nous indiquaient où étaient les corps ! " Leur métier est encore compliqué par la corruption de l'armée et de la police, souvent à la solde des narcos. "Impossible pour les habitants – et les journalistes – de distinguer l'ennemi."

Et comme tous les reporters de guerre, les journalistes d'El Diario y laissent parfois leur vie. Les narcotraficants ont toujours tenté d'influencer le quotidien, demandant de ne pas publier certaines informations, proposant de l'argent... "Puis sont venues les menaces, et les exécutions. Un matin de novembre 2008, alors qu'il amenait sa fille à l'école, Armando Rodríguez, un journaliste chargé des affaires judiciaires, est abattu devant chez lui." Deux ans plus tard, un photographe stagiaire de 21 ans est "criblé de balles dans sa voiture, sur un parking", et son jeune confrère de 18 ans s'en sort blessé, mais vivant.

Depuis, les journalistes se méfient, certains changent d'itinéraire régulièrement, d'autres scrutent les autres conducteurs aux feux rouges. Mais, comme le dit Joel Edgardo González, reporter aux affaires criminelles, ils savent qu' "en réalité, ça ne garantit rien. Il ne nous reste qu'à faire ce qu'on a à faire". C'est-à-dire "informer – un pistolet sur la tempe", précise le reportage. Mais face aux menaces et à leurs exécutions, El Diario cède peu à peu du terrain. Un éditorial publié peu après l'enterrement du photographe, s'adressait aux narcotraficants. "Vous qui êtes, en ce moment, les autorités de facto de cette ville (...), expliquez-nous ce que nous devrions ou ne devrions pas publier, afin que nous sachions à quoi nous en tenir. (...) Ceci n'est pas une reddition. C'est une trêve (...) afin que [vous respectiez] la vie de ceux dont le métier est d'informer".

En 2012, le rythme des assassinats est un peu retombé. En juin dernier, la ville frontalière a même connu quatre jours (non consécutifs !) sans homicide. "Si le gouvernement se félicite, "les journalistes, eux, évoquent en privé la victoire temporaire de l'un des cartels, ou une trêve négociée avec le gouvernement en vue des élections.", dévoile la journaliste. Aujourd'hui à Ciudad Juárez, le métier de journaliste "semblerait presque normal". Presque.

(par Antoine Machut)

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