Agressions de policiers : bataille Legrand-Darmanin sur Inter
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Agressions de policiers : bataille Legrand-Darmanin sur Inter

Le ministre met en avant des statistiques peu fiables

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Si les plaintes pour violences contre les dépositaires de l'ordre public et les déclarations de blessure des gendarmes et policiers ont bien augmenté depuis 15 ans, le manque de précision de ces données et les travaux de spécialistes ne permettent pas d'affirmer "un doublement des violences contre les policiers", comme l'a dit le ministre de l'Intérieur sur Inter ce matin. Explications.

Quand il s'agit de statistiques sur la violence, les politiques tirent souvent à vue. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, n'a pas fait exception quand il a fallu pointer du doigt la hausse des agressions contre les policiers. Comme ce mercredi matin sur France Inter. Mais c'est d'abord Thomas Legrand, éditorialiste politique d'Inter, qui s'est exprimé sur le sujet. Disant s'appuyer sur les données officielles de l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) et du collectif Mémorial des policiers victimes du devoir, il affirme que "si vous croisez leurs données, un policier en 2020 avait près de quatre fois moins de risques de mourir au travail qu’il y a 30 ans et deux fois moins qu’il y a 20 ans."

Au micro de Léa Salamé et de Nicolas Demorand, quelques minutes plus tard, Darmanin ne l'a pas entendu de cette oreille. S'il constate une "baisse considérable des atteintes aux biens" (vols, cambriolages...), il observe "en même temps", "une augmentation extrêmement forte des violences aux personnes, aux forces de l'ordre". Puis, le "premier flic de France" s'en est pris à l'édito de Thomas Legrand et à son "calcul macabre totalement faux" : "2004 : il y a eu 3 000 grosso modo policiers blessés. 2019, il y en a eu 6 000. Voilà, doublement en quinze ans […] En général quand on meurt, auparavant on a été blessé. Ça montre une violence extrêmement forte. Doublement des violences contre les policiers" (voir ci-dessous).

Les Blessures, indicateurs très imprécis

Gérald Darmanin s'appuie dans son intervention sur les chiffres des blessures dont sont victimes les policiers chaque année. D'après les données recueillies par Franceinfo auprès du ministère de l'Intérieur, de 2004 à 2019, le nombre de policiers blessés en mission est passé de 3 842 à 6 760. Une augmentation en 15 ans de 76%, qui s'explique notamment par le mouvement des Gilets jaunes. Cependant ce n'est pas "un doublement"Lorsqu'on se penche sur les données rendues publiques par l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) dans une note de novembre 2019, on voit, entre 2012 et 2018, un nombre assez stable, passant de 5 834 policiers blessés en mission à 6 002. Le chiffre le plus équivoque est celui des policiers blessés par arme - qu’elle soit à feu, blanche ou par destination - en mission : il est passé de 276 en 2012 à 666 en 2018. 

Pour les autres types de blessures, le flou demeure. 2018 est la seule année où ont été comptabilisées les blessures dites "fortuites" : chutes, entailles, piqûres, contusions... Cela concernait 1 016 blessures en missions. Pour les 4 320 autres blessures de 2018, on ne sait pas vraiment de quoi l'on parle : "Effectivement, une des limites des données disponibles, c'est qu'il n'y a pas de précision sur la gravité des blessures déclarées, explique à ASI, Christophe Soullez, ancien chef de l'ONDRP. On ne sait pas s'il s'agit d'un policier passé à tabac par 15 personnes ou si c'est un agent qui s'est foulé la cheville en coursant un délinquant. Mais c'est le même problème pour les données sur les violences en général." En outre, comme le rappelle Franceinfo, d'après une autre note de l'ONDRP, la grande majorité (72% en 2019) des policiers blessés en mission l'ont été de façon accidentelle, sans lien avec des personnes interpellées. 

Autre biais possible : depuis plusieurs années, l'administration policière insiste pour que ses agents déclarent plus systématiquement les blessures dont ils sont victimes : "Il n'y aurait rien de scandaleux là-dedans, remarque Soullez à ASI. De la même manière, si les plaintes pour violences conjugales augmentent, c'est parce qu'on incite les victimes à se déclarer."

Les plaintes pour violences : imprécises aussi 

Autre indicateur : celui des violences contre les dépositaires de l'ordre public. Selon les données du site data.gouv.fr, elles sont en effet en augmentation depuis 25 ans, passant de 20 691 en 2003 à 36 831 en 2018, d'après un décompte du Figaro

 

Sauf que l'appellation "dépositaire de l'autorité" recouvre aussi bien les policiers que les gendarmes, les pompiers, les militaires, mais aussi les maires, les magistrats, les notaires etc. En outre, cette donnée publique enregistre les plaintes seulement : "On ne sait pas si les gens contre qui une plainte a été déposée ont été effectivement poursuivis ou condamnés", relève Soullez à ASI. 

Les morts ne mentent pas 

Même si le ministre de l'Intérieur refuse les "décomptes macabres", il faut bien en passer par-là. Thomas Legrand, pour son édito, s'est appuyé sur les données de Sébastian Roché, criminologue, directeur de recherche au CNRS, comme il l'a dit à ASI. Pour ses données, le chercheur a donc croisé les chiffres de l'ONDRP et du collectif Mémorial des policiers victimes du devoir, qui recense pour chaque année les policiers morts en service. Des données très fiables selon Roché : "Il y a une correspondance quasi totale avec celles de l'ONDRP, à ceci près que le collectif prend en compte les décès des policiers municipaux", a-t-il expliqué à ASI. Résultat : entre 20 et 25 policiers mouraient en service par an dans les années 70, contre moins de 10 dans les années 2000 et 2010. Rapporté au nombre d'agents en exercice, on obtient un "risque de décès par agent" qui a été divisé par quatre entre les années 1970 et les années 2000. Ce que Thomas Legrand a expliqué dans son éditorial. 

Dans un thread publié sur Twitter ce mercredi 19 mai, Roché pointe du doigt les amalgames faits par Darmanin : "Les chiffres fiables disponibles sont peu nombreux, et ils portent sur les décès. Mais, il n’existe pas de chiffre fiable concernant les blessures infligées aux policiers. Terme qui est en général confondu avec les agressions de policiers (qui ne sont pas dénombrées non plus)." Pour lui, les décès sont tout simplement les données les plus fiables :  "Il est impossible que dans le même temps il y ait plus d’agressions violentes et que les décès de policiers baissent, écrit-il sur Twitter. La mesure dont on est certain, la référence, ce sont les décès des policiers. Que voit-on ? Sur une quarantaine d’années, le nombre de décès baisse nettement : plus jamais après l’année 1991 on ne verra 25 ou 20 agents décédés en une année."


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