Vidéo de la mort de Nahel : France 2 fait disparaître son JT
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Vidéo de la mort de Nahel : France 2 fait disparaître son JT

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Dans "Télématin" puis dans le 20 Heures, France 2 affirme que l'IGPN a analysé la bande sonore de la vidéo de la mort du jeune Nahel, et en tire des conclusions à l'opposé de celles des avocats de la famille et des témoignages des passagers de la voiture. L'IGPN dément ces informations. La chaîne a par ailleurs dû s'excuser après avoir utilisé les images de l'ONG Index.

L'extrait de Télématin, posté sur le compte Twitter de l'émission, a fait le tour des réseaux sociaux et a été vue plus de 6 millions de fois. Le 3 juillet, Hugo Puffeney, journaliste à France 2, y fait des révélations : selon ses informations, "l'IGPN a beaucoup progressé sur l'analyse de la vidéo du tir" policier qui a coûté la vie au jeune Nahel le 27 juin dernier. Une vidéo capitale dans la compréhension de ce qui s'est joué d'autant que les interprétations divergent particulièrement sur les dialogues que l'on peut y entendre entre Nahel et les deux policiers qui tentent de l'appréhender. Deux versions s'opposent drastiquement : celle des deux autres passagers de la voiture, soutenue par les avocats de la famille de Nahel, et celle des policiers mis en cause. Dans la première, les policiers auraient d'abord hurlé à Nahel : "Coupe !" (le moteur), puis un policier aurait dit au second, auteur du tir, "Shoote-le !". Selon l'un des passagers, qui a témoigné auprès du Parisien, cet ordre aurait été précédé d'"un truc comme : «Je vais te mettre une balle dans la tête !»" Selon l'Obs, placés en garde à vue, les deux policiers donnent une version très différente. Ils confirment avoir ordonné à Nahel de couper le moteur, mais n'avoir pas prononcé le mot "shoote", ni ne l'avoir menacé d'une balle dans la tête. Ils affirment avoir prononcé "plutôt une phrase comme «mets tes mains derrière la tête »". 

Or selon Télématin, l'IGPN serait arrivée à la même conclusion : "Certains avaient cru entendre les policiers dire à Nahel : «Je vais te mettre une balle derrière la tête» ou «Shoote-le», ce qui laisse penser à un tir prémédité. Eh bien aujourd'hui l'IGPN n'a pas du tout la même analyse. Elle entend les policiers demander à Nahel à plusieurs reprises «Coupe !», sous-entendu «Coupe le moteur», et «mets tes mains derrière la tête». Ce n'est pas une menace mais plutôt une sommation." Un tournant dans l'enquête sur les circonstances dans lesquelles Nahel est mort. Mais un tournant que réfute Yassine Bouzrou, l'un des avocats de l'adolescent. Joint par Arrêt sur Images, l'avocat se contente de répondre qu'"aucune analyse audio n'a été réalisée". De son côté, l'IGPN n'a pas souhaité s'exprimer, affirmant que l'enquête était "encore en cours". Mais selon Mediapart, qui pointait le 3 juillet la chronique de Télématin, au sein de l'IGPN on dénonce un "emballement" : "«L'IGPN ne tire absolument pas ces conclusions à ce stade puisque la vidéo est toujours en cours d'analyse», confirme une source au sein du ministère de l'Intérieur qui regrette «un emballement»". 

Hugo Puffeney affirme également sur le plateau de France 2 que "pour en avoir le coeur net", l'IRCGN, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, a été saisi pour analyser la vidéo. Mais sans pouvoir tirer de conclusion pour l'instant : "Ses analyses audio n'ont pas donné grand chose pour l'instant, ni dans un sens ni dans l'autre." Comment l'IGPN peut-elle alors tirer des conclusions ? L'IGPN patiente-t-elle pour rendre ses conclusions publiques, ou bien le journaliste de Télématin a-t-il relayé sans le savoir la version des policiers ? Joint par ASI, il n'a pas donné suite.

Sous-titres et biais cognitif

Comment mettre en images ces "révélations" ? Le 3 juillet dans la journée, la rédaction de France 2 contacte Index, ONG d'enquête indépendante spécialisée dans les enquêtes en sources ouvertes, notamment dans l'analyse vidéo et sonore. Index vient de publier une première analyse de la vidéo de la mort de Nahel, et notamment un premier travail de nettoyage de la bande sonore afin de tenter de mieux distinguer les paroles échangées entre l'adolescent et les deux policiers. Une première analyse réalisée en partenariat avec Earshot, une autre ONG spécialisée dans le même domaine. France 2 souhaite diffuser l'analyse d'Index, qui précise sur son site : "L'optimisation audio permet de rendre plus distincts les mots prononcés par les policiers avant le tir. Néanmoins, l'analyse est en cours et ne permet pas, selon nous, de se prononcer de manière formelle sur le contenu des échanges oraux survenus dans les instants qui précèdent le tir." L'ONG précise toutefois : "Certains des éléments qui ressortent de cette analyse pourraient indiquer une possible intention de tuer."

Joint par ASI, le fondateur d'Index, Francesco Sebregondi, explique n'avoir posé "aucune condition" à France 2 pour l'utilisation de ces images. Qu'en a fait la chaîne ? Dans le JT du 20 Heures du 3 juillet, les images d'Index ont bien été diffusées mais sous-titrées... selon les conclusions de l'IGPN rapportée par Télématin le jour-même. Conclusions que l'IGPN a démenties dans la journée, entre la diffusion de Télématin et celle du JT, ce que le 20 Heures ne précise pas. Le sujet diffusé au JT de France 2 (signé du même journaliste) reprend dans les grandes lignes la chronique de Télématin, et appose donc les sous-titres correspondant à la version attribuée à l'IGPN sur la vidéo d'Index. Le ton du journaliste est toutefois plus prudent : l'IGPN n'"entend" plus, comme affirmé sur le plateau de Télématin, mais "envisage d'autres hypothèses". Voici l'extrait tel qu'il a été rediffusé sur Twitter par le compte Twitter d'Index.

Francesco Sebregondi a découvert "très choqué" l'utilisation qui a été faite de l'analyse partielle d'Index : "On n'aurait jamais pensé qu'elle puisse être utilisée de la sorte, en en inversant le sens et en l'utilisant comme support visuel pour illustrer l'interprétation potentielle de l'IGPN. Ils utilisent notre vidéo alors que nous on a fait le choix de ne pas retranscrire à ce stade parce qu'on ne peut pas être formel." Sans être formel, le chercheur a tout de même de sérieux doutes sur certains mots : "«Derrière la tête» ça nous semble impossible à entendre." Pour Sebregondi, en apposant sur la vidéo des sous-titres (quelle que soit leur origine par ailleurs), la chaîne provoque un énorme "biais cognitif" chez les téléspectateurs : "La lecture va plus vite que l'interprétation par l'oreille : si on le voit écrit en même temps, c'est ce qu'on va entendre." 

France 2 s'excuse et supprime le replay

Pourquoi avoir publié un travail inachevé au risque de voir des médias en faire leur propre interprétation ? "On a procédé à une optimisation de la bande audio, on la met à disposition afin d'alimenter le débat avec des éléments plus factuels. Évidemment que ça ouvre aussi à la possibilité que les gens interprètent à leur façon, mais on pensait que c'était important de se montrer disponibles, d'expliquer qu'on travaillait sur le sujet, qu'on a les compétences pour exploiter l'audio avec rigueur", explique Sebregondi. Dans la soirée, sur son compte Twitter, l'ONG n'a pas mâché ses mots en voyant l'utilisation faite de ses images par le JT de France 2 : "On peine à croire ce qu'on vient de voir au JT de 20h. Vous diffusez notre analyse audio des instants qui précèdent la mort de Nahel, et vous la sous-titrez avec la retranscription qu'en propose(rait) l'IGPN ??! Vous lui faites dire l'OPPOSÉ de notre analyse." 

Le 4 juillet au matin, le compte "Info France 2" publie un message d'excuse sur Twitter adressé à Index : "Nous vous présentons nos excuses pour cette utilisation inappropriée de votre analyse audio. Nous rectifierons dans nos éditions du jour." Un message suivi d'un léger effet sous la forme d'un message lu par Julian Bugier dans l'édition du 13 Heures du 4 juillet : "Hier soir dans le 20 Heures, nous avons diffusé l'analyse audio réalisée par l'ONG indépendante Index, […] eh bien, les sous-titres présentaient la version défendue par les policiers et non celle de l'ONG. C'est important évidemment de le préciser." Dans cette nouvelle version, l'IGPN a disparu, puisque Julian Bugier affirme que c'est désormais "la version défendue par les policiers" qui est représentée par les sous-titres apposés par France 2. 

Dans la journée du 4 juillet, le replay du JT du 3 juillet a par ailleurs disparu du site de la chaîne (il était encore disponible tôt dans la matinée), sans plus d'explications. Dans le 20 Heures du 4 juillet, Anne-Sophie Lapix est elle aussi revenue sur l'épisode, et a, de nouveau, présenté des excuses à Index pour l'utilisation de ses images. Cette fois, la journaliste évoque bien un sous-titrage correspondant "à la version de l'IGPN" (ce que l'IGPN nie toujours, donc) et ne s'attarde que sur l'utilisation détournée des images d'Index. Contactés par ASI, les rédacteurs en chef du JT de France 2 n'ont pas donné suite à nos sollicitations. 

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