Poupées SheIn : parlons donc économie plutôt que pédocriminalité !
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Poupées SheIn : parlons donc économie plutôt que pédocriminalité !

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C'est un appel surgi au détour d'une session de scrolling sur Instagram. "Maintenant que tout le monde semble d'accord pour s'indigner pour une poupée, trouvons le courage d'agir pour les «vrais enfants». Merci pour eux." Le post est publié sur la page du journaliste et auteur Adrien Borne, très engagé sur le sujet des violences faites aux enfants. Comme une piqûre de rappel, il appuie là où ça fait mal : comment se fait-il qu'un gouvernement, qu'un paysage médiatique, sachent réagir si promptement (et s'engager par exemple à contrôler 200 000 colis) lorsque le site d'ultrafashion chinois SheIn commercialise en France des poupées sexuelles en format de "petites filles", et que ce même gouvernement, ces mêmes médias, ne sachent pas problématiser, structurellement, le problème des violences sexuelles sur enfants ? Quel intérêt à traiter cette actualité sous l'angle de l'économie et pas l'angle des victimes ? Pourquoi ne trouve-t-on presque aucun·e spécialiste de la pédocriminalité en plateaux ?

L'alerte concernant les poupées vient en effet de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF. Le vocable récurrent dans les médias est donc, fatalement, celui de la "concurrence", de la "commercialisation" de "produits illégaux". Les sources interviewées ? Un "expert à 60 millions de consommateurs", sur France Culture. La porte parole de la répression des fraudes sur France info. Le porte-parole de SheIn France et le patron du BHV sur BFMTV (il n'avait "pas connaissance" de l'existence des poupées et regrette l'affiche faisant la promotion de l'ouverture de Shein dans son magasin, sur l'immense et prestigieuse façade du BHV à Paris). Le ministre de l'économie, Roland Lescure, face à un pool de multiples chaînes. Un spécialiste de la cybercriminalité sur LCI, selon qui il y aurait dû avoir une "liste noire" des produits SheIn. Un économiste, président de l'Observatoire société et consommation au 20 heures de France 2, aux côtés... d'une patronne de petite entreprise de produits "made in France". Des client·es de SheIn dans MarianneUn journaliste spécialiste de la consommation dans C à vous, sur France 5... parmi des dizaines d'autres.

Ça et là, quelques voix apparaissent pour parler, plutôt, des enfants. Dans C à vous, aux côtés du spécialiste "conso", intervient par exemple Arnaud Gallais, militant français pour la protection des enfants (il est co-fondateur de MouvEnfants). Il a également été interrogé sur Franceinfo, BFMTV, Sud Radio et a publié une tribune dans Libération. Sur TF1, au 20 heures, on a pu entendre Sarah El-Haïry, Ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles, brièvement apparue sur BFMTV et Europe 1Mais lorsque l'on tape "pédocriminalité" dans un moteur de recherche, ou "enfants" : les articles ou reportages qui apparaissent, ces derniers jours, se comptent sur les doigts d'une main. (Et difficile de ne pas serrer du poing, en voyant des médias Bolloré, comme CNews, s'indigner du "scandale des poupées sexuelles", tout en mettant en avant Jean-Marc Morandinicondamné à deux ans de prison avec sursis en appel pour corruption de mineurs.)

Pourtant, ce n'est pas comme s'il y existait pléthore de sources sur le sujet. Ce n'est pas comme si la journaliste Romane Brisard venait de sortir Inceste d'État (Stock, 2025), un livre journalistique sur la "dissonance" entre l'intérêt ponctuel des médias pour La Familia Grande (écrit par Camille Kouchner en 2021) et leur angle mort sur les violences faites aux enfants. Ce n'est pas comme si, justement, Camille Kouchner (docteure en droit en plus d'être autrice), venait de sortir Immortels (Seuil, 2025), un roman sur des enfants, "où les parents soixante-huitards portent leur victoire en étendard, comme la liberté sexuelle, avec les dégâts que ça peut supposer". Ce n'est pas comme si le juge Edouard Durand venait de sortir un livre - aux côtés de la chanteuse et fondatrice de l'association Mille Miettes Mai Lan Chapiron - sur les droits fondamentaux des enfants. Ce n'est pas comme si les ONG Child Global et Brave Movement venaient, le 6 novembre, de sortir un rapport sur les violences sexuelles sur enfants dans l'Union européenne. (Au moment d'écrire ces lignes, seuls l'Humanité, Mediapart et le Point en ont parlé.) Ce n'est pas comme si l'institutrice et journaliste Lolita Rivé venait de sortir le podcast "Qui c'est qui commande?" sur les violences faites aux enfants. Ce n'est pas comme s'il y avait des livres sur "l'adultisme", comme celui de Gabrielle Richard. Ce n'est pas comme si la Ciivise existait.

Il ne s'agit pas, ici, de verser dans le whataboutism, ce procédé rhétorique qui détourne l'attention d'un sujet important, pour en regarder un autre. Il s'agit de mettre en cause le cadrage proposé. Ce récit qui met encore une fois de côté la politisation de la catégorie sociale "enfant" : la plus vulnérable, la moins prise au sérieux ("dans 92% des cas, l'enfant n'est pas cru"). Comme pour l'affaire le Scouarnec (que nous avions disséquée, lorsqu'elle n'était pas ignorée par les médias), comme pour l'affaire Bétharram (que nous avons aussi analysée), comme pour la criminalité des jeunes (là encore), comme pour les enfants placés (hop), comme avec la récupération politique de l'affaire Lola (voir ici), l'occasion de réfléchir aux violences structurelles sur les enfants et aux manières de cesser ce carnage sociétal est, à nouveau, parfaitement ratée.

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