La baisse du chômage expliquée à l'éconaute
Brève

La baisse du chômage expliquée à l'éconaute

La baisse d’effectifs à l’Insee explique-t-elle la baisse du taux de chômage comme le sous-entend notre brève publiée jeudi ? Non, répond l’Insee qui met les points sur les i et raconte au passage les secrets de fabrication d’un taux très attendu.

Adieu magie ! Dans une brève parue jeudi, je reprenais un article du Monde qui expliquait qu’en modifiant ses questionnaires, l’Insee faisait baisser virtuellement le taux de chômage de 0,3%. Mon confrère parlait de miracle, et moi de magie. En réponse au Monde, histoire d’éviter le mauvais procès, l’Institut a immédiatement publié un communiqué s’expliquant sur cette baisse, et le directeur des statistiques démographiques et sociales fit preuve de pédagogie avec une journaliste de l’AFP qui rédigea alors une dépêche reprise notamment par Le Figaro. Dans cette dépêche, une petite phrase ambiguë me met la puce à l’oreille : "les difficultés de l'Insee à produire des statistiques détaillées (…) ont été accentuées par un sous-effectif d'enquêteurs, provoqué par un plan de titularisation sur des postes à 35 heures".

Copie du site du Monde

Tordue comme je suis – je vois le mal partout – je me dis que c’est encore un coup de la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, et je publie ma brève avec cette conclusion qui me semblait cocasse : "la baisse de l’emploi à l’Insee est à l’origine de la baisse – virtuelle – du chômage". Une conclusion en forme de boutade mais qui me laisse sur ma faim: l’Institut connaît-il des problèmes d’effectifs dont personne ne parle jamais ? Réflexe : je contacte la CGT-Insee. On se donne rendez-vous au téléphone pour le lendemain, vendredi, à 11 heures. Vendredi à 10 heures, je reçois un message du service presse de l’Insee : le directeur des statistiques démographiques et sociales, Fabrice Lenglart, souhaite me parler. Ça tombe bien : moi aussi ! Mais vite je déchante. Mes trois interlocuteurs – les deux syndicalistes et le directeur – sont formels : s’il y a bien une baisse des effectifs à l’Insee, elle n’est pas à l’origine de la baisse du taux de chômage qui s’explique uniquement par la modification des questionnaires. La phrase de l'AFP peut certes prêter à confusion mais la RGPP n'est pour rien dans l'affaire.

Un bug et trois hypothèses

Retour sur le couac : chaque trimestre, l’Insee doit publier le taux de chômage, son évolution, l’activité selon l’âge et le sexe et tout un tas d’indicateurs (CDD, CDI…), données issues de ce qu’on appelle l’enquête emploi, une des plus vieilles pratiquées par l’Institut auprès de 100 000 personnes. Impossible de se soustraire à l’exercice, l’Europe exige une publication tous les trois mois. Mais le 6 juin dernier, date de l’annonce des chiffres du premier trimestre 2013, l’Institut est dans l’embarras : certains chiffres ne sont pas du tout cohérents. On décide de ne donner que l’évolution du taux, en l’occurrence +0,3% de chômage en plus dans les dents, et on se laisse le temps de chercher d’où vient cette incohérence. Commence alors une chasse au bug. D’où vient le problème ? Trois hypothèses sont à l’étude : la reformulation des questions, la refonte de la chaîne informatique qui traite les données collectées et le manque d’enquêteurs.

Car oui, l’enquêteur se fait rare en début d’année à l’Insee, pour une raison toute simple que m’expliquent les deux syndicalistes, Julie Herviant et France-Line Mary-Portas : "auparavant, les enquêteurs avaient le statut de pigiste. On leur donnait une liste d’adresses et ils étaient payés en fonction du nombre de questionnaires réalisés. Depuis le début de l'année, ils sont passés contractuels. C’est plutôt mieux car ils ont maintenant une protection sociale. Mais, de fait, ils ne peuvent pas travailler autant qu’ils le voudraient, les contrats limitant le nombre d’heures, et les salaires sont faibles, environ 1200 euros net par mois. Vu la difficulté du métier, c’est peu. En Ile-de-France surtout, de nombreux enquêteurs ont préféré ne pas signer de contrat". Conséquence : moins d’enquêteurs, et des horaires limités. Cela dit, même si la baisse des effectifs n’est pas due à une réduction des postes voulue par la RGPP, elle explique peut-être l’incohérence des chiffres, non ? Les syndicalistes réfutent : "l’Insee assure que non, et nous n’avons aucune raison de ne pas croire nos collègues".

Deuxième hypothèse : la chaîne informatique de traitement des données mise en place récemment. "Vu les incohérences, on ne pouvait pas écarter le bug informatique" raconte Fabrice Lenglart. Mais pas de bug, tout a fonctionné. Reste alors ces questionnaires qui ont été modifiés. Ils sont bien les seuls fautifs de la baisse du taux. Cela dit, pourquoi l’Insee n’a-t-il pas anticipé ce phénomène ? On peut se douter que la reformulation de la question induit automatiquement des réponses différentes. L’article du Monde raconte qu’en passant de "êtes-vous à la recherche d'un emploi, même à temps partiel ou occasionnel" à "êtes-vous à la recherche d'un emploi" tout court suffisait "à faire (…) faire sortir 90 000 Français, virtuellement, des chiffres du chômage". Les deux syndicalistes estiment qu’on pouvait honnêtement penser que les reformulations joueraient peu sur les résultats mais elles conviennent aussi que, dans l’idéal, il aurait fallu poser l’ancien et le nouveau questionnaire. Trop complexe, trop fastidieux. Il faut savoir que les enquêteurs se rendent deux fois chez les gens puis les appellent quatre fois par téléphone. Les questionnaires en vis-à-vis peuvent durer une demi-heure, et bien plus s’il y a des modules complémentaires. Donc imaginez un questionnaire dédoublé… pas fastoche.

Exit donc le problème de sous-effectifs… enfin pas tout à fait. Les deux syndicalistes me racontent que la baisse des postes voulue par la RGPP - et que ne remet pas en cause le nouveau gouvernement - pose problème non pas sur les données nationales mais sur les données locales : "on va perdre en précision géographique. Seules les collectivités riches pourront s’offrir ces enquêtes qui sont très coûteuses". Ça ne vous rappelle rien ? Oui, notre émission sur Météo France. On découvrait que la RGPP engendrait une diminution des points de mesure sur le territoire, donc affectait la prévision locale, et, à plus long terme, la prévision tout court.

Pas de magie donc, et une éconaute qui a fait une conclusion trop rapide. Une conclusion mais aussi une introduction comme me le souligne le directeur des statistiques démographiques et sociales : "l’Insee n’a jamais dit que la courbe du chômage s’inversait. Une courbe qui s’inverse, c’est une courbe qui monte puis qui descend (ou l’inverse). Or la courbe continue de monter. Certes moins rapidement : au premier trimestre le taux augmentait de 0,3% et au deuxième de 0,1%". Me voilà bien avec ma brève injuste. Mais au moins j’ai pris contact avec l’Insee. Déjà, cet été, je me demandais comment la croissance avait pu bondir de 0,5% en cherchant désespérément à savoir ce que cachait ce chiffre. Le directeur des statistiques démographiques et sociales me l’assure : les portes de l’Institut me sont ouvertes. A moi d’y entrer.

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