Site du SNJ Radio France, 25 septembre 2017
En ouvrant leurs mails, les candidats du "planning", une épreuve organisée deux fois par an par Radio France pour recruter des CDD (parmi les journalistes sortis d'écoles un an plus tôt), ont dû être surpris : en plus du résultat de l'épreuve à laquelle ils avaient participé, ils ont pu découvrir les commentaires du jury, composé de cinq rédacteurs en chef de stations nationales et de trois autres issus de stations locales. Et certains ont eu la main lourde au moment de commenter la performance des jeunes journalistes. "Il s'écoute trop et raconte des conneries", "Débit un peu désinvolte et limite poissonnière", "A une voix du vendeur de supermarché", "Il serait pas mal en démonstrateur à Auchan ou DJ au Macumba", ou encore "Tchoupi fait du journalisme", détaille le site du SNJ de RadioFrance, qui révèle l'info. Et qui s'interroge : "Comment retourner bosser après ça? Comment garder un minimum de confiance en soi? Comment repasser une nouvelle sélection? Plusieurs pigistes sont laminés".
Le "Planning" n'est pas n'importe quelle épreuve dans l'éco-système de Radio France.Il permet à de jeunes journalistes pigistes de décrocher des CDD successifs et de pouvoir travailler dans toutes les stations du groupe avec, à terme, des chances d'être embauché en CDI. Difficile donc d'y échapper. Pour le SNJ, une réforme du concours est "indispensable et urgente". "Comment est-ce possible que l’« entretien» qui nous avait été présenté comme une manière de préparer les futurs CDD aux recrutements à venir, soit devenu une épreuve notée? Est-ce pour ajouter une dose supplémentaire de subjectivité et d’injustice à une sélection qui n’en manquait déjà pas?", se demande le SNJ, qui s'interroge aussi sur l'opportunité de laisser les rédacteurs en chef noter leurs propres pigistes.
Cette "affaire" en rappelle, dans une certaine mesure, une autre : le fichage, en 2014, de certains salariés de France Télévisions. Fin août, le syndicat FO avait obtenu des fiches "d'évaluation de performance et de potentiel" des journalistes du groupe, avec le système de notation suivant : I pour "insuffisant", C pour "conforme aux attentes" et B pour "au-delà des attentes". Un système de notation ignoré par les salariés eux-mêmes, fichés avec des appréciations (déjà) très tranchées : "n'assure que très partiellement ses missions", "ne sait pas mettre en place une organisation", "n'est pas reconnu comme facteur de motivation pour son entourage"ou encore"approche et traitement inefficace de la complexité et des aléas". A l'époque, Mediapart avait mené sa propre enquête, et conclu que les 39 fiches concernaient des journalistes de France 3 Auvergne, mais que ce système avait vocation à être appliqué à l'ensemble du groupe. La direction de France TV s'était alors défendue en affirmant que la pratique était le fait de managers locaux, et seulement locaux. Et la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, avait tenté de minimiser (et de clore) l'affaire sur France Inter : "Nous avons décidé de stopper ce système car il n'avait pas été discuté avec les partenaires sociaux".
Exemple de fiche d'évaluation
Sur France Inter, au lendemain des révélations sur les commentaires humiliants, Nicolas Demorand a pris la parole pour dénoncer le "rire mauvais" de certains de ses collègues de Radio France : "Ce rire mauvais, ce rire carnassier dit aussi quelque chose de l'époque : la difficulté pour les jeunes d'accéder à l'emploi et surtout le gouffre qui existe entre ceux qui sont installés, protégés, peuvent faire des blagues, et tous les autres qui doivent se taire".
Mise à jour du 26/09/2017 à 11h : ajout de la réaction de Nicolas Demorand sur France Inter.
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