Allemagne / voiture préférée : sondage bidonné
A peine publié par la Süddeutsche Zeitung (SZ), le 14 janvier dernier, le scoop était repris par tous les sites d'information allemands: l'Auto-club d'Allemagne (ADAC) a trafiqué l'élection de "la voiture préférée des Allemands de 2014" et ce n'est pas la première fois! Contrairement à ce que prétendait l'organisation, ce n'est pas 290 000 personnes qui ont participé à ce vote en 2013 mais seulement 76 000. Et cette année, la nouvelle Golf Volkswagen ne l'aurait pas remporté avec 34 229 voix mais seulement 3409.
Unes du Berliner et du Rhein-Zeitung du 21 janvier 2014
Si l'information fait tant de bruit, ce n'est pas seulement qu'en Allemagne l'automobile est reine. L'ADAC, créée en 1903, est la plus grande association d'automobilistes d'Europe et se targue de rassembler 18,8 millions de membres. Ses différentes activités financières (crédit, assurance, guides et autres produits dérivés...) lui assurent un chiffre d'affaires de près de 2 milliards d'euros, selon Le Monde. Elle exerce aussi ouvertement un lobbying fervent pour le développement de l'automobile à Bruxelles et à Berlin. A la remise du prix jeudi dernier étaient attendues pas moins de 400 personnes appartenant aux plus hauts cercles de l'industrie de l'automobile allemande. Mais plus encore, ce sont ses véhicules jaunes de son service de dépannage légendaire, gratuit pour ses membres, qui en font une institution "angélique" pour la plupart des Allemands.
Aujourd'hui, l'image de l'association flanche. C'est désormais le nombre de ses membres qui est remis en cause. Le ministre-président de Bavière, où est situé le siège de l'association, Horst Seehofer, s'est ainsi déclaré "pas surpris" par les révélations de la SZ, car les chiffres que possédait son parti étaient toujours très différents de ceux annoncés par l'ADAC. Le ministre de la justice, Heiko Maas, quant à lui a exigé au nom du gouvernement fédéral des explications de la part de l'ADAC.
De fait, qui peut encore croire que le prix de la "voiture préférée des Allemands" a une quelconque valeur ? se demande Die Welt. Quelques milliers de membres de l'ADAC ne sont pas représentatifs des 80 millions d'habitants de la fédération. En manipulant ces chiffres, l'ADAC a mis en danger ce qui fait son fond de commerce: "la confiance en elle", souligne Florian Gathmann sur le Spiegel Online. Ainsi, hier, les constructeurs se sont désolidarisés de l'ADAC et Volkswagen a annulé ses campagnes publicitaires autour du label "voiture préférée des Allemands", comme le souligne le site Werben und Verfaufen.
Collusion dans la presse spécialisée
Les activités d'éditions et de presse spécialisée de l'organisation sont elles aussi particulièrement remises en cause par le scandale. L'Auto-Club allemand peut se targuer de posséder le magazine le plus important d'Europe en termes de tirage toutes catégories confondues. La Motorwelt diffuse ainsi chaque semaine 13,8 millions d'exemplaires dans les territoires de langue germanique. Mais ce magazine, chargé d'organiser le concours et le vote, est en première ligne de l'affaire.
Son directeur et chef de la communication de l'association, après avoir fermement nié les révélations de la SZ a finalement annoncé sa démission dans l'édition dominicale de la Bild. Michael Ramstetter, qui était jusqu'à maintenant présenté comme le deuxième homme fort de l'ADAC, a pris sur lui l'ensemble de la responsabilité du bidonnage et a présenté ses excuses publiques.
Le site d'information sur les médias Meedia.de se demande ainsi, à la suite de la SZ, "si l'ADAC peut véritablement tester des voitures de manière indépendante, puisque l'association est en affaire avec plusieurs constructeurs automobile. Plusieurs marques confient à l'ADAC la prise en charge des dépannages relevant de leur garantie-mobilité. Par ailleurs, on peut lire dans la SZ, que des articles positifs auraient été publiés dans Motorwelt en échange de dons de la part de lobbys de l'automobile et de la métallurgie à la fondation de l'ADAC "Gelber Engel" (l'ange jaune)."
silence des hebdos
L'événement a eu d'autres répercussions sur le milieu des médias qui se sont rués comme un seul homme sur les révélations de la Süddeutsche Zeitung et de la Bild am Sonntag. Seuls les deux hebdomadaires paraissant le lundi Focus et le Spiegel n'ont accordé aucune place à l'événement dans leurs publications papier (mais y ont fait écho sur leurs sites). Le premier consacre sa Une actuelle aux nouvelles formes de traitement de l’Alzheimer, des cancers, du diabètes et des infarctus. Wolfgang Büchner, le directeur en chef du second qui s'était déclaré contre les Unes sur "le mal de dos" et voulait restaurer la qualité informative des Unes du Spiegel, comme le rappelle Meedia.de, n'a pas hésité à titrer sur le "mal de tête, cette maladie populaire sous-estimée."
Il n'en faut pas plus pour que le rédacteur en chef de Media.de, Stefan Winterbauer, ne raille ces deux hebdomadaires d'actualités qui se veulent réactifs à l'actualité. Selon, lui, la Bild am Sonntag, pourtant connue pour ses inexactitudes voire ses bidonnages, a dépassé les news magazines sur leur propre terrain puisqu'elle a poursuivi l'enquête de la SZ et y a consacré sa Une. Elle a donc "fait ce que l'on aurait pu attendre du Spiegel ou de Focus."
Par Antoine Tricot
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