Adieu Hénin-Beaumont, ses autos tamponneuses, son potjevleesch
Brève

Adieu Hénin-Beaumont, ses autos tamponneuses, son potjevleesch

L'image est simple: un duel Le Pen-Mélenchon, dans une ville sinistrée du Pas-de-Calais, sur fond de PS gangrené par "les affaires". Trop simple ? C'était l'occasion de tenter de passer "derrière l'image". Dernier épisode de notre reportage. (Le premier est ici.)

On ne peut pas parler de tout. Je ne vous ai pas parlé des pompes funèbres. La première chose qui frappe en arrivant à Hénin-Beaumont, c'est le nombre des magasins de pompes funèbres. Selon les recensements les plus fiables, on en compterait huit, sur les places du centre-ville, davantage que de friteries et de kebabs réunis. Non pas qu'on meure davantage à Hénin-Beaumont qu'à Lens ou à Noyelles-Godault. L'explication est ailleurs. Le service de pompes funèbres, jusqu'à peu, était municipal. Mais déficitaire. La Chambre Régionale des Comptes ayant fait des observations, la mairie a privatisé la mort en catastrophe, plutôt que d'augmenter les tarifs. Il faut croire que le secteur est rentable, puisqu'ils sont désormais plusieurs à se le partager. Y a-t-il un lièvre sous l'affaire ? Les socialistes, et les grand mères des socialistes, bénéficiaient-ils de faveurs mortuaires indues, de cercueils capitonnés au black ? Je n'ai pas enquêté. Et pas davantage, sur le point de savoir si pour les clients,la privatisation a provoqué une augmentation de tarifs. Ce sera pour la prochaine fois.

On ne peut pas parler de tout. J'aurais pu traiter tant d'autres sujets. Le critère d'un reportage réussi, ce sont les sujets que l'on découvre sur place, et dont on n'avait pas la moindre idée, avant d'arriver "sur le terrain". Ceux qui ont échappé à la moulinette de la médiatisation. Un nom, une allusion, un épisode, une anecdote inattendus, reviennent une fois, deux fois, trois fois, dans les conversations. On se dit "tiens tiens". Il faut savoir se dire "tiens tiens". C'est tout l'art du reporter, comme du détective. C'est très difficile. Mes confrères du 20 Heures, ou ceux de BFM, trouvent-ils le temps de se dire "tiens tiens" ? Ce n'est pas ce qu'on leur demande. Au départ de Paris, ils ont déjà en tête leur scénario et leurs personnages. "Tu nous trouves un ouvrier au chômage passé du PC au FN, coco. Et un socialiste corrompu. Et un autre qui lutte contre la corruption. Et évidemment, Mélenchon et Le Pen, pour le temps de parole". Sortir des sentiers tracés est aussi une question de temps.

J'aurais pu traiter tant d'autres sujets. Les tracts, par exemple. Le tract est la spécialité du Front National local, comme le potjevleesch est la spécialité culinaire (ceux du café de la paix, sur la place de l'église, sont délicieux, mais je dois à la vérité de dire que je n'en ai pas goûté d'autre). Il s'agit de morceaux de lapin, poulet, porc et veau, froids, et pris dans la gelée. Toute comparaison avec la situation politique héninoise ne serait due qu'à l'imagination des lecteurs (encore que j'ai découvert la spécialité grâce à Alain Alpern, éminent pojevleeschologue de la politique locale). Mais je m'égare. Ah oui, les tracts. Sujet intéressant, sur un site de critique de médias. On s'imagine que les citoyens s'informent par le journal, par les blogs, ou les pages Facebook. C'est le cas. Mais le média par excellence de la vie politique héninoise, c'est le tract à l'ancienne. Le FN y excelle. Sa spécialité, c'est le petit tract, vite tiré, vite distribué, cruel et impitoyable, avec fac-similé ravageur d'un contrat de complaisance, d'une fausse facture, tout droit fuités des tiroirs à trous de la mairie. J'ai cherché (sans succès) la collection complète. Avis aux sociologues qui enquêteront sur l'ascension du Front National à Hénin-Beaumont. Je vous refile l'idée. Ne me remerciez pas, c'est un plaisir.

Au revoir Hénin-Beaumont. Dans quelques heures, nous enregistrons l'émission de la semaine, sur la place de la République, et plus particulièrement sur le stand des auto-tamponneuses de la ducasse, décor de circonstance.

   

Elles ne fonctionneront pas encore (les autos tamponneuses), la ducasse ne commençant que demain. C'est dommage. L'attraction aurait été parfaitement adaptée à un débat entre personnalités politiques héninoises. Peut-être aussi auraient-elles accepté plus facilement de jouer les unes avec les autres. Parce que se parler, c'est une autre histoire: notre plateau à changé vingt fois de composition, depuis hier. Machin veut bien parler avec Chose, mais pas avec Bidule, qui n'est pas de son niveau, ou bien a travaillé avec Dalongeville un peu trop tôt, ou un peu trop tard. Par exemple, j'aurais bien aimé inviter le candidat socialiste officiel, Philippe Kemel, que l'on n'entend guère. Mais Kemel, qui souhaite exister médiatiquement, ne souhaitait venir que face à Le Pen et Mélenchon. Et Le Pen et Mélenchon, outre qu'ils n'arrivent qu'aujourd'hui sur le terrain, vous les verrez par ailleurs partout. Bref, plateau-surprise.

Au revoir Hénin-Beaumont. Je ne sais pas si nous le recommencerons, ici ou ailleurs, le petit exercice du reportage. Ce n'est pas une question d'envie: personnellement, j'ai adoré me décoller une semaine de mes amis les écrans, de télé et d'ordinateur, et je crois savoir que les bonnes volontés ne manqueraient pas dans l'équipe. Mais je ne suis pas sûr que le reportage soit adapté à un site comme le nôtre. Disons-le brutalement: sur Internet, il faut dénoncer. Il faut que ça fuse, que ça buzze, que ça se twitte. L'info sur Internet, et notamment ici, est le domaine du nécessaire, et laisse peu de place à la nuance, au superflu. On ne va pas tweeter ces histoires de ducasses, l'enthousiasme d'un militant, l'entrebâillement d'une porte, le silence d'une ouvrière, le tremblement de la voix d'un militant frontiste, le flou d'un souvenir. Ni surtout la recette du potjevleesch, prototype de l'information savoureuse, mais rigoureusement intweetable. A suivre, comme on dit.

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