1991 : Patrick Sébastien au secours de Gérard Depardieu
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1991 : Patrick Sébastien au secours de Gérard Depardieu

L'acteur venait d'être privé d'Oscar après avoir avoué un viol dans la presse américaine

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"Arrêt sur images" a retrouvé une séquence vidéo dans laquelle Patrick Sébastien, déguisé en Cyrano de Bergerac, livre une plaidoirie destinée à blanchir Gérard Depardieu, accusé en 1991 d'avoir participé à un viol à l'âge de neuf ans. Aucun média ne semble avoir relevé la scène, symbole de la complaisance d'un certain milieu à l'égard de l'acteur, accusé depuis de violences sexuelles par seize femmes. Patrick Sébastien répond.

Sur la chaîne Youtube et le site de Patrick Sébastien se trouve une vidéo passée inaperçue. Elle aurait pourtant pu être rediffusée dans tous les sujets consacrés à la complaisance du monde culturel face aux accusations de violences sexuelles contre Gérard Depardieu. Mais depuis trente ans, la séquence semble restée hors du radar médiatique. Son titre : "Viol au dessus d'un nid de Depardiou". On y voit Patrick Sébastien se dire "blessé" que les médias américains reprennent une citation dans laquelle Depardieu avoue avoir participé à un viol à neuf ans. Puis, déguisé en Cyrano de Bergerac, Patrick Sébastien récite une plaidoirie destinée à blanchir l'acteur. 

Patrick Sébastien "blessé" pour Gérard Depardieu

La séquence nous vient, dit le commentaire, de l'émission Sébastien c'est fou, sur TF1, en 1991. À l'arrière plan de l'écran : un parterre de silhouettes colorées, habillées façon carnaval. Au premier plan : Patrick Sébastien assis à côté de Gérard Depardieu et d'un sosie de Johnny Hallyday. L'animateur s'adresse à Depardieu : "On va revenir sur quelque chose que j'avais fait, une séquence à laquelle je dois un petit peu t'avoir ce soir". Une petite vidéo tournée "à la suite de ce que les Américains avaient dit sur toi qui t'avait blessé et qui m'avait, moi, insiste Patrick Sébastien, blessé pour toi". 

Ce que "les Américains avaient dit" sur Depardieu date de février 1991. Soit sept semaines avant les Oscars. Cette année-là, Gérard Depardieu est pressenti pour le prix du meilleur acteur pour son rôle, justement, dans Cyrano de Bergerac. Mais le Time vient de ressortir des citations de lui publiées plus tôt, en 1978. Dans l'article, lorsque le journaliste demande à Depardieu s'il est vrai qu'il a "participé à son premier viol" à l'âge de neuf ans, l'acteur français répond : "Oui". Il renchérit lorsque le journaliste demande s'il y a eu "plusieurs viols". Depardieu : "Oui, mais c'était normal dans ces circonstances. Ça fait partie de mon enfance". Côté américain, les propos scandalisent. On ne veut plus que Depardieu participe aux Oscars. Face au scandale, Depardieu plaide l'incompréhension et une déformation de ses propos : il n'aurait pas avoué avoir "participé" à un viol à l'âge de neuf ans, mais y avoir "assisté". Le Time avait rétorqué que les propos de Depardieu n'avaient été "ni mal compris ni mal traduits". Réponse réitérée auprès de l'équipe de Complément d'enquête qui a retrouvé la journaliste auteure de l'interview. Elle précise avoir posé ses questions... en français. Plus clair encore, l'émission a mis la main sur une interview donnée en français au magazine Lui, en 1981. Depardieu déclare : "On a aussi violé beaucoup de filles. [...] Mais je passais après tout le monde parce que j'étais gamin. [...] En fait, viol, c'est beaucoup dire. Il s'agissait plutôt de filles qui, pour appartenir à la bande, se faisaient passer dessus." À l'époque, ces déclarations passent complètement inaperçues.

Retour en 1991. Côté français la France s'inquiète pour son acteur vedette, privé d'Oscar. La situation indigne par exemple Patrick Sébastien. C'est ce qui le pousse à écrire et jouer cette scène, explique à l'époque l'animateur face caméra. "Le jour où j'ai appris ça, je me suis précipité sur ma plume, je me suis fait la tête de Cyrano et j'ai écrit en vers la réponse que tu aurais pu faire aux américains. Alors on va le revoir". Contacté, l'ex-présentateur du Plus grand cabaret du monde a répondu à Arrêt sur images. D'abord lors d'un échange informel tendu de 19 minutes, dont il a refusé que nous publiions des extraits. Puis lors d'un bref échange plus calme de 4mn, que Patrick Sébastien a cette fois accepté que nous citions. Il assure aujourd'hui que la scène n'était qu'un "exercice artistique". Il rappelle que Depardieu "niait complètement" les faits à l'époque. Il compare sa démarche à celle des "humoristes qui imitent Depardieu" aujourd'hui. Dans le sketch, "c'est pas moi qui parle, poursuit-il, c'est Depardieu qui s'explique à la manière de Cyrano". Peut-être a-t-il oublié qu'à l'époque, il déclare à Depardieu face-caméra : "J'ai écrit ça avec tout ce que j'avais de plus chaud pour toi".

"Si violant on m'accuse, violent on me verra"

Dans ledit sketch, Patrick Sébastien apparaît affublé d'un (faux) nez, gros comme un cap, une péninsule.  Il est vêtu d'un chapeau, d'une cape et de grandes bottes de cuir : il est Cyrano. Ou Depardieu-qui-joue-Cyrano. Une quinzaine d'acteurs et d'actrices l'entourent, en robes ou tenues de combat style 17e siècle. Il y a de la paille, un feu. On a mis les moyens pour tourner la séquence.

Patrick-Gérard-Cyrano est en plein duel d'épée. Soudain, une sorte de valet en chapeau à plumes débarque avec un journal dans les mains. Il interrompt le duel car il y a "scandale", crie le laquais. "Depardieu n'ira pas lundi en Amérique ! Une interview de lui déclenche la panique. Il aurait déclaré qu'à l'âge de neuf ans, il avait découvert l'amour... mais en violant !". Patrick-Cyrano rétorque. "«Violant» ? L'horrible mot, écrit avec un «a». Si violant on m'accuse, violent on me verra ! Mais «violent»-adjectif. Violent par mes paroles envers ceux qui me font jouer, ce soir, le pire des rôles : Messieurs les Américains. "

Patrick-Gérard-Cyrano poursuit son plaidoyer. "Sachez bien que je n'ai jamais dit ce dont vous m'accusez". Il parle de la fameuse interview publiée par le Times. Un peu plus tard dans la scène, Patrick-Gérard-Cyrano l'explique justement. "Étant à supposer que violence il eut, j'y ai juste assisté", dira-t-il. Le laquais de Cyrano en rajoute une couche, pour être sûr de faire passer le message à 100%. Il crie : "Erreur de traduction !" Mais Patrick-Gérard-Cyrano mobilise d'autres arguments. "Par quelle génétique pouvez-vous supposer qu'à neuf ans j'aurais pu me conduire en bélier ? J'étais un agnelet. Je le reste encore. J'ai bien trop peur des femmes pour en forcer le corps. Je les aime tellement. Et, j'ai d'ailleurs en moi un côté féminin et n'accepterai pas que ma moitié virile aussi forte qu'elle soit puisse déshonorer l'autre moitié de moi." Il le dit en baisant doucement la main d'une actrice. 

"Colère" envers la presse since 1991

Patrick-Gérard-Cyrano s'en prend enfin à la presse. À Paris, on fit de "l'incident" une affaire "grandissime", s'énerve-t-il. "Les retentissements de vos Unes de presse sont en proportion de votre indélicatesse". La tirade prend fin. Le comédien termine en faisant référence à Cyrano (le film, cette fois), déchu aux Oscars. "Cyrano n'aura rien. Depardieu est blessé. Je reste un enfant et quel que soit mon âge je vous laisse l'Oscar et garde le panache !" Applaudissements parmi les comédien·nes en robes et mousquetaires autour de Cyrano. Puis, par un fondu d'image, retour à l'émission Sébastien c'est fou et à Patrick Sébastien et Gérard Depardieu. Depardieu passe son bras autour de Patrick Sébastien, tout sourire, et lui fait une chaleureuse bise. "C'est magnifique et en plus c'est vraiment bien dit", remercie Depardieu. "Ça me fait plaisir, ça me fait très plaisir", répond Patrick Sébastien.

Dans sa réponse à Arrêt sur images, le Patrick Sébastien de 2023 se défend. "Ça ne veut pas dire que je cautionne".  Il plaide la parodie. Ce sketch, "c'est comme les Guignols qui feraient dire à Depardieu des horreurs". Ou comme quand il "fait des parodies de Trump", assure-t-il. C'est aussi comme "quand je faisais dire des choses à Le Pen, illustre-t-il, je ne cautionnais pas". L'affaire remonte à 1995. "Imitant Jean-Marie Le Pen, Patrick Sébastien avait parodié la chanson de Patrick Bruel, Casser la voix, transformée en Casser du Noir, suivie d'un commentaire amusé du président du Front national en personne", résumait le Monde. Patrick Sébastien avait alors été condamné, un an plus tard, pour incitation à la haine raciale. Comme pour Depardieu, "ce n'était pas moi qui parlais", assure encore Patrick Sébastien.

Selon l'animateur, "le problème, c'est qu'aujourd'hui, on ne peut plus rien dire", lâche-t-il. "Ce sketch, il a trente ans. Ce qui me choque, c'est la chasse aux trucs". Sous-entendu, aux vieux propos déterrés par la presse. "Je ne suis pas un intime de Depardieu, je suis un parolier. À l'époque, je ne trouvais pas ça très juste qu'on l'ait empêché d'aller aux Oscars à cause de ça". Comme en 1991, en 2023, il est encore en colère contre la presse. "Ce qui m'emmerde, c'est qu'on juge médiatiquement les gens avant de les juger vraiment" dans les tribunaux. 

Patrick Sébastien se méfie des serveuses et de "certaines victimes"

Des propos conformes à ceux qu'il tient dans les médias depuis des années. Interviewé par TV magazine fin 2023, l'émission du Figaro live, il dénonçait "une minorité qui veut interdire ce qui fait plaisir et qui veut imposer ce qui nous emmerde. L'ordre moral s'est déplacé du côté des wokistes désormais". Plus tard :"Il faut que certaines femmes acceptent qu'on n'a pas envie de toutes se les taper. Bien sûr qu'il y a des gros salopards, des mecs qui se conduisent de manière ignoble à qui il faut faire la chasse, mais vraiment faire la chasse. Mais il y a cette espèce de soupçon permanent sur les hommes aujourd'hui. C'est ce qui a amené le féminisme intégriste.

Sur BFMTV, il dénonçait encore une "tyrannie" de "certains intégristes", "intégristes féministes", "antiracistes", "écologistes". Le fait, qu'en tant qu'homme, "on est des suspects d'office". Toujours sur BFMTV, il insinue ensuite que de nombreuses femmes dénoncent des violences sexuelles à tort. "Ces filles-là font un mal considérable aux autres". "Il ne faut pas que les nanas aient peur de parler des vrais salopards". Il répète, "des vrais". Il admet systématiquement filmer les employées d'hôtel, car "si la petite serveuse qui t'apporte le petit déjeuner sort en hurlant, t'as perdu, donc il faut une preuve que tu n'as fait aucun geste déplacé". Il s'en vantait également sur Europe 1 ou à Closer. À l'autrice de l'article de Closer, il disait aussi : "Si votre photographe n'était pas avec nous dans mon bureau, je ne vous aurais pas reçue seule. J'en suis là aujourd'hui". En 2018, chez RMC, il disait se méfier de "certaines victimes" : "Il y a une bienveillance à dénoncer un salopard et il y a une malveillance à dénoncer n'importe qui à tort et à travers. J'ai un peu de mal avec certaines victimes, qui ont les seins dehors, les fesses à l'air". Ses propos avaient scandalisé une partie de la presse féminine. L'Express avait même fait, à cette occasion, une compilation des sorties sexistes de l'animateur dans les médias. 

En 2023, Patrick Sébastien assure être féministe. Il n'y a qu'à écouter, dit-il, sa chanson Elle marche sous la pluie. Le morceau raconte l'histoire d'une femme qui vient de subir un viol et marche seule sous la pluie : "Écoute-moi petite sœur, il faut pas garder ça pour toi. Je sais t'as honte, je sais t'as peur, de tout ce qu'on va dire de toi. Je sais qu'il n'y a rien à faire pour réparer ce bout de ciel mais faut hurler, il faut pas taire, faut crier pour toutes celles qui marchent sous la pluie". Enfin, sauf pour toutes celles qui font "un mal considérable".

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