Gilets jaunes : "La volonté d'empêcher de manifester a toujours été là"

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D'état d'urgence en loi anti-casseurs, de manifestations contre la loi Travail en samedi des Gilets jaunes, se répand le sentiment que la liberté de manifester, voire certaines libertés publiques, se restreignent en France d'année en année. Qu'en est-il e(...)

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L'émission
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  • Avec
    Vanessa Codaccioni et Arié Alimi
  • Presentation
    Daniel Schneidermann et Juliette Gramaglia
  • Préparation
    Adèle Bellot et Juliette Gramaglia
  • Réalisation
    Sébastien Bourgine et Antoine Streiff
Offert par le vote des abonné.e.s
D'état d'urgence en loi anti-casseurs, de manifestations contre la loi Travail en samedi des Gilets jaunes, se répand le sentiment que la liberté de manifester, voire certaines libertés publiques, se restreignent en France d'année en année. Qu'en est-il exactement, et comment s'est fabriqué l'arsenal législatif en vigueur ? Questions posées à nos invités : Vanessa Codaccioni, historienne politiste, autrice de "Répression, l'Etat face aux contestations politiques" ; et Arié Alimi, avocat membre de la Ligue des droits de l'Homme.

"La volonté d'empêcher de manifester a toujours été là"

Dernière loi dans l'arsenal qui régit le droit de manifester : la loi "anti-casseurs", promulguée le 11 avril dernier (on vous en parlait ici). Parmi les articles controversés -article entretemps censuré par le Conseil constitutionnel : la possibilité pour les préfets de prononcer des interdictions de manifester. Subsistent d'autres articles problématiques : la possibilité d'effectuer des fouilles et contrôles d'identité aux abords des manifestations. "Ça n'existait pas avant, même si on le faisait quand même, c'est ce qu'on appelait les interpellations préventives", rappelle Arié Alimi. Un procédé "illégal", pour l'avocat, avant la loi "anti-casseurs". Le but ? Empêcher les Gilets jaunes d'assister à la manifestation, par les gardes à vue.

Autre disposition "problématique" : la dissimulation totale ou partielle du visage "sans motif légitime". Des motifs non définis, explique Alimi. "Le problème c'est : vouloir rester dans une manifestation est-il légitime ou pas ? Aujourd'hui les juridictions considèrent qu'à partir du moment où il y a des gaz [lacrymogènes], vous devez quitter la manifestation". 

"La volonté d'empêcher de manifester a toujours été là", ajoute Vanessa Codaccioni. Exemple avec le Général de Gaulle, qui lors de mai 68, avait "décidé de dissoudre une dizaine d'organisations d'extrême gauche", rappelle l'historienne. Pour la loi anti-casseurs, il y a le précédent de la loi de 1978, "qui visait au départ les militants maoïstes". Une loi qui "très rapidement s'est attaquée à des agriculteurs, à des paysans, à des militants". Un loi abrogée par François Mitterrand.

"iL y a une assimilation djihadisme/activisme"

Retour en 2015 : l'état d'urgence est déclaré après les attentats du Bataclan. Parmi les dispositions policières désormais possibles : les assignations à résidence sur demande du préfet. Qui seront bien vite utilisées contre, notamment, des militants écologistes lors de la COP21. "On voit très bien quelque chose de plus général, l'application de la logique antiterroriste à la gestion du militantisme", note l'historienne. Un fait "qui a toujours un peu existé" : exemple avec la loi de dissolution de 1936, votée par le Front populaire pour dissoudre les ligues d'extrême droite... et qui servira en 1939 à dissoudre le parti communiste. En 1963, le Général de Gaulle crée la Cour de sûreté de l'Etat pour juger l'OAS... juridiction qui jugera des militants de mai 68, des indépendantistes corses, basques, bretons. "Une fois qu'un dispositif est là pour une cible officiellement et consensuellement décriée, des djihadistes, il va s'appliquer à d'autres cibles, qui n'étaient officiellement pas dites au départ." Pour Codaccioni, "ça s'aggrave". 

Exemple parmi d'autres de détournement de lois. La loi "anti-bandes", votée en 2010 lors d'une intrusion de bande dans un lycée à Gagny (Seine Saint-Denis). Deux délits y sont introduits : celui de "groupement en vue de commettre des violences et/ou dégradations" et celui "d'intrusion dans un établissement dans le but de troubler la tranquillité ou l'ordre de l'établissement". Cette loi, prévue pour lutter contre les rixes, a ensuite été utilisée dans un tout autre contexte : une centaine de personnes, dont des mineurs, ont été interpellées le 22 mai 2018 pour avoir participé à une AG dans le lycée parisien Arago. Sur le plateau, Alimi dénonce le fait qu'un "grand nombre" des lycéens interpellés ont depuis été "fichés S". "Il y a une assimilation djihadisme/activisme", approuve Codaccioni qui dénonce le "stigmate" de la fiche S et la "répression invisible" des militants. Sur les télés, notamment les chaînes d'info, on n'hésite d'ailleurs parfois pas à parler d' "ultras" à "éradiquer", voire de "terroristes".

Des juges me disent : " les violences policières ne doivent pas être traitées au pénal"

En 2017, la France sort de l'état d'urgence, et inscrit dans une loi de droit commun plusieurs des dispositions de l'état d'urgence : les perquisitions sur ordre du préfet, devenues "visites domiciliaires", et les assignations à résidence -mesures qui, jusqu'ici, n'ont pas été utilisées contre les Gilets jaunes. Retour aussi sur le délit "d'outrage", fréquemment utilisé par les forces de l'ordre. "Ce texte a surtout été utilisé pour permettre des policiers impliqués dans une bavure policière de se défendre", dénonce Alimi. "Ça permet de faire un contre-feu".

Arié Alimi défend, entre autres, la porte-parole niçoise d'Attac Geneviève Legay, blessée le 23 mars dernier par un policier pendant une manifestation de Gilets jaunes. L'avocat dénonce les "mensonges" du procureur de Nice (qui a fait dans l'intox pendant la semaine qui a suivi). Peut-on poursuivre un procureur si l'on estime qu'il a menti ? "C'est compliqué", répond Alimi, car la plainte arrivera sur le bureau... du procureur lui-même. Situation kafkaïenne. 

Mais le problème va au-delà pour l'avocat. "Aujourd'hui, même des juges d'instruction considèrent que les violences policières n'ont pas à être traitées au pénal". Alimi déplore qu'"il n'y a pratiquement aucune instruction ouverte sur des violences policières dans le dossier des Gilets jaunes". Une "résistance volontaire" pour l'avocat. Qui en donne un exemple : celui des consignations que doivent verser les victimes qui portent plainte. Ces consignations ont pour but d'éviter les poursuites abusives, et devraient être baissées à zéro euro lorsque les victimes n'ont pas les moyens - ce qui n'est pas le cas pour les Gilets jaunes, accuse l'avocat, "pour les empêcher d'ouvrir des instructions". "On bloque la possibilité pour des victimes graves de pouvoir utiliser la justice pénale". 

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