[Avent 2021] Présidentielle 2012 : avec la correspondante belge... Charline Vanoenacker

Arrêt sur images

Avent #13. Où il est (à nouveau) question des résultats donnés avant 20 h

Sur le plateau d'"Arrêt sur images", un blogueur masqué façon Anonymous annonce qu'il publiera les sondages et les résultats du deuxième tour, 6 mai 2012, pendant la période interdite, de vendredi minuit à dimanche 20 h. C'est que la non-publication des résultats avant 20 h, alors que des estimations sont connues des journalistes, devient insupportable aux yeux de ce blogueur comme par exemple de Sylvain Bourmeau, alors directeur adjoint de la rédaction de "Libération". Charline Vanoenacker, alors correspondante de la RTBF à Paris pour suivre la présidentielle, est chroniqueuse pour "Arrêt sur images". Elle s'amuse de l'émoi provoqué par le fait que la télé belge donne les résultats plus tôt : "Je vous rappelle que pendant tout un quinquennat, les médias étrangers sont dans le fond du bus, là, c'est le seul moment en cinq ans que nous avons l’info en premier".

20 avril 2012. Le suspense est insoutenable ! Les médias français vont-ils braver la loi, en livrant dimanche aux alentours de 18 h 30 les premières estimations des résultats du premier tour de l'élection présidentielle ? Une question d'autant plus importante que ces résultats pourraient circuler sur Twitter et Facebook. Faut-il changer la loi ? Et sa transgression risque-t-elle de fausser le scrutin, voire d'entraîner son annulation ? Pour répondre à ces questions, trois invités : Sylvain Bourmeau, directeur adjoint de la rédaction de Libération, qui a donné rendez-vous à ses lecteurs sur le site du quotidien à 18 h 30 en laissant planer le doute sur une publication anticipée des résultats ; Mattias Guyomar, le secrétaire général de la Commission des sondages, chargée de faire respecter la loi. Enfin, à leur côté, nous recevons "Nicolas" (son prénom a été changé), un blogueur qui souhaite rester anonyme car il publiera sur un site créé spécialement les sondages et les résultats pendant la période interdite (de vendredi minuit à dimanche 20 h).

Quelques heures après l'enregistrement de l'émission, la Commission a publié un communiqué précisant sa position sur ce sujet polémique. Avant le débat, place à Didier Porte, qui ironise notamment sur le dispositif incroyable de TF1, qui permettra aux mouettes de connaître les résultats du premier tour si elles passent devant la tour de la chaîne... Cette semaine, notre chroniqueur flingue également l'académicien Marc Fumaroli.

"La loi est absurde"

Le journal Libération va-t-il dévoiler les résultats du premier tour avant 20 heures, au risque de payer une lourde amende ? Le quotidien l'a laissé entendre en Une cette semaine. Simple coup de pub pour le site ? Sylvain Bourmeau assure que non. "On ne pensait pas que ça aurait autant d'écho", explique-t-il. A Libé, la décision n'a pas encore été prise. "Sur le fond, on est d'accord sur le fait que la loi est absurde, poursuit Bourmeau, et qu'il y a tout un tas de bonnes raisons de publier. Et en particulier le fait de partager démocratiquement une information qu'on détient." Il assure qu'une publication à 18 h 30 n'aurait d'ailleurs pas vraiment d'influence sur le vote, comme le montre la pratique aux États-Unis par exemple. Alors pourquoi hésiter ? Le respect de la loi, le risque d'une lourde amende évaluée par Bourmeau à "cinq fois 75 000 euros" pour les personnes morales comme Libé (contre 75 000 euros pour les particuliers). Enfin, dernier argument : le doute sur la fiabilité des informations qui vont circuler. Dans tous les cas, aucun chiffre ne sera crédible avant 18 h 30, heure à laquelle des premières estimations seront connues, établies par des sondeurs à partir des bureaux de vote "tests" qui ferment à 18 heures. (acte 1)


Concrètement, que se passera-t-il si Libé publie à 18 h 30 ? "Si on constate des infractions, le parquet sera immédiatement saisi par la Commission des sondages et la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale", indique Mattias Guyomar. Notamment des rumeurs et des faux chiffres qui influeraient sur le vote. Que risquent ces médias ? Guyomar assure que Libé ne s'exposerait "qu'à" 75 000 euros d'amende. Mais il a depuis révisé sa position et ses chiffres. Quelques heures après l'enregistrement de l'émission, en direct sur BFMTV, il est finalement tombé d'accord avec Bourmeau : les personnes morales encourent bien 375 000 euros d'amende.

Malgré les risques, deux blogueurs ont décidé de publier les résultats avant 20 h. Comment pourront-ils vérifier l'authenticité des chiffres ? Sur notre plateau, l'un des blogueurs, qui souhaite rester anonyme, explique qu'ils publieront sur leur blog hébergé en Nouvelle-Zélande les chiffres des médias étrangers. "Et sur notre compte Twitter, on publiera malgré tout quelques estimations", qui circuleront sur la toile, explique-t-il. Tout le problème est la "fiabilité de la source", renchérit Bourmeau. Selon lui, les chiffres seront sérieux si les médias étrangers les tiennent directement des entreprises de sondages. Les estimations d'après 18 h, établies à partir des bureaux de vote qui viennent de fermer, "sont beaucoup plus fiables que les sondages d'intentions de vote". Dans tous les cas, si la commission des sondages sera attentive à tout ce qui sera publié, elle ne pourra intervenir qu’à posteriori, comme elle le fait depuis le début de la campagne lorsqu'elle donne son avis sur les sondages publiés. Le journal Libération avait d'ailleurs été épinglé par la commission pour son sondage sur les soi-disant 30 % d'intentions de vote potentiels en faveur de Marine Le Pen. Le Monde a aussi eu à subir ses remontrances, lui aussi concernant le vote Le Pen. (acte2)

"Sur la newsletter, je ne vous ai pas dit oui" 

Nicolas Sarkozy lui-même a déclaré sur Europe 1 qu’il n’était "pas choqué" que les résultats puissent être publiés avant dimanche 20 h. Pas de commentaire de la part de Guyomar. Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, a lui aussi refusé de commenter cette déclaration. "Je ne sais pas qui a dit ça, je n’ai pas la mémoire des noms", a-t-il raillé sur France 5.

Quel dispositif a mis en place la commission des sondages pour faire respecter la loi? Il n'était pas encore arrêté officiellement à l’heure ou nous avons enregistré émission. Quelques heures plus tard, à l’issue d'une conférence de presse, Guyomar a affirmé que les sondeurs s'étaient engagés à ne pas réaliser de sondage "sortie des urnes". Mais il y aura des "estimations", c'est-à-dire des sondages réalisés à partir des premiers dépouillements. Des chiffres peuvent donc tout de même circuler à partir de 18 h 30.

Mais la responsabilité n’incombe-t-elle pas à ceux qui produisent ces chiffres, et qui devraient les tenir secrets ? interroge Bourmeau. "Non, car la loi n’interdit pas de produire ces informations, mais de les diffuser publiquement, elle n’interdit d’ailleurs pas de les diffuser de manière privée, répond Guyomar. Un coup de téléphone, un texto, tout ça est autorisé." Bourmeau saute sur l'occasion pour tester les limites de la loi : "Si on envoie un sms à une liste d’amis de 10 personnes, c’est différent de Twitter, alors qu’on n'a que 10 personnes qui nous suivent, ou que l’on a un compte privé ? A partir de quand devient-on un média ?" Réponse du secrétaire général : "Le parti-pris est de distinguer entre ce qui relève de la correspondance privée, qui a pour objet d’avoir un seul destinataire, même si c’est dix fois un seul destinataire."

Nouvelle question de Daniel: "La liste de diffusion est-elle un média ou pas?". "Si c’est une liste de diffusion mail ou sms, non, c’est une correspondance privée", répond Guyomar. "Alors un média peut envoyer à tous ses abonnés les résultats par newsletter?" relance Bourmeau. Et de glisser qu’Arrêt sur images pourrait le faire. "Si c’est un circuit fermé, oui" répond Guyomar. Bourmeau insiste : "Est-ce que je peux envoyer à mes abonnés les résultats par newsletter ?" Le secrétaire général de la Commission fait marche arrière : "Sur la newsletter, je ne vous ai pas dit oui." Finalement, joint par @si vendredi soir, il indique que "les cas de diffusion via des newsletters seront évalués au cas par cas"."L'ampleur de la circulation de l’information" est un élément qui permettra aussi de distinguer ce qui est légal ou pas, ajoute Guyomar. "Nicolas" pointe le fait qu'un certain nombre d'initiés sera au courant des résultats auparavant. "Au nom de quoi ?", demande-t-il. "Ce n'est pas parce que c’est facile de contourner la loi que c’est anodin de le faire", rétorque Guyomar. (acte 3)

Charline Vanoenacker : "c'est le seul moment en cinq ans que nous avons l’info en premier"

Petit détour par les précédentes élections. A quel moment les résultats ont-ils été diffusés? En 2002, Les Guignols de l’info avaient annoncé dès 19h45 que Jean-Marie Le Pen était au deuxième tour. L'auteur, Bruno Gaccio s’en était expliqué en 2007 : il avait souhaité invalider le vote. En vain. C’est un risque, aussi, cette année. Mais Bourmeau n’y croit pas: "On voit mal le Conseil constitutionnel invalider tout le scrutin." Tous les ans, la RTBF (télé et radio publiques belges), annonce les résultats avant la France. Mais cette année, le débat, qui a pris une certaine ampleur en France, a failli mettre en péril cette annonce : des entreprises de sondage ont failli ne pas venir sur le plateau de la RTBF, confie Charline. Si la chaîne diffuse les résultats avant, "ce n’est pas pour fanfaronner, assure-t-elle, c’est parce que nos journaux s’ouvrent à 19 h 30". Une solution pour éviter tout problème serait de fermer tous les bureaux de vote en France à 18 h, ajoute-t-elle. Bourmeau préférerait se caler sur 20 heures pour tout le monde, pour éviter l’abstention. Le blogueur déplore de son côté que le débat ait monopolisé les médias toute la semaine, alors que la campagne a été "d’une pauvreté affligeante". (acte 4)

Fermer les bureaux à 20 h signifierait rompre avec la grande tradition française de l’annonce des résultats à 20 h précises. Petit montage souvenir des décomptes solennels, sous les yeux moqueurs de Charline. "J’hésitais entre une explosion de bombe nucléaire, le réveillon ou le lancement de la fusée Ariane. Je comprends mieux pourquoi vous nous en voulez", raille-t-elle. "Il y a un côté ridicule", tranche-t-elle. Notre blogueur estime de son côté qu’avec l’info devenu accessible via le net, c’est bientôt "la fin de ces grand' messes". Charline déplore que les journalistes qui demandent de ne rien diffuser sont les "initiés, ceux qui ont des infos avant tout le monde, comme Jean-Michel Aphatie. Je vous rappelle que pendant tout un quinquennat, les médias étrangers sont dans le fond du bus, là, c'est le seul moment en cinq ans que nous avons l’info en premier".

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