BFMTV, l'insoutenable vidéo et les cris
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BFMTV, l'insoutenable vidéo et les cris

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Pas d'inquiétude, promet BFMTV, vous ne verrez pas les images "insoutenables" de l'attaque d'Annecy. À moins que. Dans le Matinaute ce matin, Daniel Schneidermann détaillait brillament le récit médiatique de l'horreur, retransmise minute-par-minute sur les chaînes d'info. Sur BFMTV, la promesse vertueuse originelle de "ne pas montrer" les images de l'attaque (c'est interdit), a peu à peu laissé place à une savante distillation d'images, sons et sous-titres tendant invariablement au même but.

Il est 10 h 36 sur BFMTV le jeudi 8 juin lorsque Bruce Toussaint relaie "une nouvelle terrible" : "Nous sommes maintenant en mesure de vous affirmer que des enfants ont été attaqués à Annecy. Une intervention de police est en cours." Rapidement, la chaîne d'info en continu diffuse des photos de l'assaillant, et une vidéo, floue, où l'on aperçoit celui que l'on n'a pas encore identifié comme étant Abdalmasih H., en train de courir, de loin, avant d'être arrêté par les policiers. À 14h26, BFMTV nous informe avoir pu regarder la vidéo, mais comme ce sont "des images particulièrement abjectes, vous ne les verrez pas sur l'antenne de BFMTV", nous promet-on.

Maxime Brandstaetter, journaliste police-justice pour BFMTV, est donc chargé d'en résumer le contenu : "C'est une vidéo extrêmement difficile, qu'effectivement on a décidé de ne pas vous montrer et qu'on déconseille fortement de regarder." Il décrit "un parc pour enfants, avec des toboggans, des jeux" et "cet assaillant, qui a cette attitude extrêmement déterminée, avec un keffieh ce foulard traditionnel du Moyen-Orient", "habillé tout en noir", qui "tient un couteau à la main" et qu'on voit "courir". "Il a l'air de chercher des victimes", dit Brandstaetter, "on sent qu'il cherche à faire le plus de dégâts possible, la chose la plus atroce sans doute c'est qu'il semble ne pas s'intéresser aux adultes. On le voit s'attaquer particulièrement à une poussette, avec une femme interposée, on le voit repousser cette femme pour s'attaquer à cette poussette." Brandstaetter ajoute que "c'est une vidéo atroce", avec "beaucoup de cris, des gens qui hurlent, des femmes avec des enfants dans les bras qui s'enfuient". Une vidéo qu'on nous a désormais décrite en détail : plus besoin de la visionner.

Dans l'après-midi, tandis que le bandeau annonce que "BFM a parlé à la femme de l'assaillant", les journalistes continuent de parler de cette "vidéo atroce, insoutenable", en repassant les mêmes images floues, jusqu'à ce qu'à 16 h 05, Maxime Brandstaetter n'en diffuse finalement un extrait : on y voit l'assaillant, couteau à la main, en train de courir autour de jeux pour enfants, en alerte. "Vous voyez ce qu'on vous explique depuis tout à l'heure", dit-il, "il regarde à gauche, à droite, on sent qu'il cherche des personnes." Le son est coupé, et Brandstaetter précise qu'"on vous a coupé les moments où il attaque les enfants, qui sont beaucoup trop durs à regarder, déjà à raconter c'est épouvantable". Effectivement, c'est une tâche ardue que celle de Brandstaetter, qui va pourtant devoir régulièrement décrire la vidéo tout au long de l'après-midi. À 16h51, l'extrait est rediffusé, toujours avec son commentaire. Mais cette fois-ci, on entend la bande sonore et les cris d'une femme qui appelle au secours. Les cris sont d'ailleurs sous-titrés par BFMTV.

Après un "document exclusif BFMTV" ("les images de l'arrestation de l'agresseur") et une "interview exclusive" avec l'ex-femme de l'assaillant qui déclare que "c'était un bon père" à 17 h 05 (rediffusée à 18 h, 19 h, 20 h 20), Dominique Rizet rappelle à 18 h 54 l'existence de "cette vidéo que l'on a décidé à BFMTV de ne pas montrer", dont on revoit les images sans le son mais avec les sous-titres à 20 h, puis à 20 h 28, cette fois avec non seulement le son toujours insoutenable, mais aussi un nouveau passage, où l'attaquant hurle "au nom de Jésus Christ". Surtout, ce qu'on entend, ce sont les cris glaçants. Ceux dont on nous avait promis qu'on ne les entendrait pas, parce qu'ils étaient insoutenables. Et ils le sont. Ils le sont toujours à 21 h 59, quand Maxime Switek prend le relais et veut à nouveau "revenir ensemble sur les images de cette attaque insoutenable", avec les mêmes extraits et, encore, les cris.

C'est à 22 h 34 que BFMTV lâche complètement la rampe. En diffusant une énième fois les images de l'attaquant courant dans le parc au son des cris, la chaîne cite en crédit le lien du canal Telegram d'extrême droite sur lequel circule la vidéo complète.

Et ce n'est toujours pas fini. Switek, à 23 h, rembraye sur "ces cris" et "cette attaque insoutenable" tout en diffusant le son et en précisant qu'on "ne vous montrera pas" les images de l'assaillant "poignardant les poussettes". Grands seigneurs, les journalistes de BFMTV. Rizet, à 23 h 15, parle toujours, avec les cris en fond. À 23 h 29, le lien du canal Telegram est diffusé une deuxième fois.

Alors, certes, BFMTV n'a pas diffusé les images de l'assaillant "poignardant une poussette". Mais la chaîne a rappelé toute la journée son existence, en nous montrant les secondes qui précèdent et qui suivent, en diffusant en boucle les cris déchirants d'une femme appelant à l'aide, en les sous-titrant, et en diffusant le lien vers la vidéo complète, vers un canal d'extrême droite qui plus est. Difficile, après tout ça, de prétendre n'avoir "pas montré" l'horreur de cette scène pour épargner l'audience.

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