TF1, le RN et la blanche Colombe
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TF1, le RN et la blanche Colombe

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Faut-il encore présenter Colombe ? Cette électrice de Marine Le Pen de 60 ans a connu une viralité fulgurante après une vidéo filmée par TF1 au meeting du Rassemblement national (RN) à Perpignan le 1er mai, dans laquelle elle expliquait, les larmes aux yeux, toucher le RSA et avoir du "mal à vivre", ce qui motive son vote pour le parti d'extrême droite. "On peut pas payer les factures, on a les huissiers, les menaces, dit-elle. Il n'y a qu'elle [Marine Le Pen] qui ressort du système et dit «Allez, suivez-moi, on va combattre»." Un témoignage poignant, qui va devenir un cas d'école d'emballement médiatique.

Ce qui n'était au départ qu'une voix parmi d'autres recueillie sur le terrain, un "voxpop" comme les appellent les anglophones, devient un personnage médiatique censé porter la voix d'une population d'oublié·es et de laissé·es pour compte. Reprise partout, multi-citée, Colombe aurait été "forcée de démissionner" des Restos du cœur (à ASI, on doute un peu du terme "démissionner" pour parler d'un rôle de bénévole, mais bon) avant d'être "réintégrée" suite au "tollé" : débat chez Pascal Praud, invitation (déclinée) chez Hanouna, tribune dans le Figaro Vox qui s'indigne que "l'électeur du RN [soit] considéré comme un nuisible à ostraciser"... Les Restos ont beau avoir rappelé le principe de neutralité que doivent respecter leurs bénévoles, personne ne semble les écouter.

Le RN s'en est frotté les mains : "Colombe, c'est la France de Marine Le Pen, la France oubliée qui vote pour elle", s'est réjouit le vice-président RN de l'Assemblée nationale, Sébastien Chenu, dans le Monde. "Il veut croire que «cela peut être un accélérateur de particules pour la campagne de Jordan [Bardella], un booster du vote RN comme l'agression de Papy Voise en 2002»", note le quotidien du soir. Rien que ça !

Mais le RN n'est pas seul à se frotter les mains. C'est Paul Larrouturou, reporter politique pour TF1 et LCI, qui a filmé la séquence virale, celle qui a fait de Colombe "le symbole d'une détresse sociale, malgré elle", comme le clame un sujet diffusé au 20 heures de TF1 qu'il cosignait le 6 mai. Soit cinq jours après avoir capté les larmes de Colombe à Perpignan, cinq jours pendant lesquels Paul Larrouturou en a fait des tonnes sur son témoignage. Par exemple en filmant des "retrouvailles exclusives" avec Colombe suppliant d'être réintégrée aux Restos du cœur ("Exclu TF1" !), en la peignant comme une "femme qui fait réagir la classe politique" pour le 20 heures de TF1, et, carrément, le 7 mai, en se rendant sur le plateau de Bonjour !, la matinale de TF1, pour "revenir sur toute l'affaire, sur ses deux rencontres avec cette femme et son histoire".

"Tout le monde veut la retrouver, tout le monde veut la rencontrer, mais elle n'a décidé de ne parler qu'à vous, Paul !", congratule Bruce Toussaint, présentateur de la matinale. "Ça a été compliqué, parce que quand je l'ai appelée, elle m'a dit qu'elle me détestait, qu'elle m'en voulait parce que c'était ma faute, si elle traversait une tempête", dit Larrouturou, très fier d'entamer son sixième jour en tant qu'expert-ès-Colombe, en admettant lui avoir présenté ses excuses. Qu'a-t-il fait ensuite ? Il l'a interviewée à nouveau, raconte-t-il. Ce sont les fameuses "retrouvailles exclusives". Et "25 minutes plus tard, les Restos du cœur ont changé d'avis" ! Incroyable. 

Après une mise à jour de son CV (elle a passé un entretien d'embauche), Larrouturou déroule des détails personnels sur la vie de Colombe : "Je pourrais vous dire qu'elle adore tricoter, la country, qu'elle est fan de Renaud et Corinne Masiero, qu'elle a deux chats, mais moi, je vais vous parler politique" – sauf que c'est trop tard, il l'a dit. Et il l'a "invitée à manger une petite crêpe" pour discuter politique : il nous apprend que d'une, elle a voté Jean-Marie Le Pen avant Marine (donc que ça dure depuis un certain temps, tout de même, ce "basculement RN"), que de deux, "elle ne peut pas être raciste car elle vit à Perpignan, ville d'accueil", et que de trois, "il n'y a que deux personnes qui l'ont appelée : Louis Aliot, le maire de la ville, et Marine Le Pen". Bruce Toussaint, en guise de conclusion, rappelle que "le vote d'extrême droite n'est pas quelque chose de récent", puisque "Jean-Marie Le Pen était au second tour en 2002". Bon, ben ça va alors... L'exercice de normalisation médiatique du RN est bouclé (en plus, selon les médias, le RN n'est plus raciste, donc tout va bien). Merci, Paul Larrouturou !

Post-scriptum de conte de fées : il n'a pas fallu longtemps pour que la vidéo virale de Colombe mène à son embauche par l'ancien numéro 2 du RN, Louis Aliot, le maire de la fort peu raciste Perpignan. Elle commencera son nouvel emploi au Centre communal d'action sociale de la ville dès juin, a-t-il annoncé. Vive le clientélisme par relais médiatique !

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