Le bon Booba, le mauvais Booba : du piédestal médiatique
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Le bon Booba, le mauvais Booba : du piédestal médiatique

Tous les samedis, l'édito médias d'Arrêt sur images, cette semaine signé Loris Guémart, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

L'histoire d'amour entre Booba et quelques grands médias toucherait-elle à sa fin ? Tortionnaire des "influvoleurs", du moins celles et ceux de l'agence de leur reine désormais déchue Magali Berdah, le célèbre rappeur est devenu à l'occasion égérie de Libération… et de l'émission Complément d'enquête de France 2. Dans les deux cas, c'était probablement trop tentant : l'écurie de Magali Berdah regroupait des stars de la téléréalité promouvant des produits parfois dangereux d'un côté, l'art du clash de Booba doublé de ses millions de fans de l'autre, faisaient de l'affrontement un sujet irrésistible. Un sujet dans lequel le rappeur tenait la figure médiatique du héros anti-arnaques. Chevalier blanc en Une de Libération. Chevalier blanc d'un Complément d'enquête sur "le vrai business des influenceurs"

En ce mois de juillet 2022, quelques grincheux et grincheuses ont bien fait remarquer qu'il semblait risqué de placer la star sur un tel piédestal journalistique. Au motif que Booba ne rechignait, dans son combat contre les "influvoleurs" de Magali Berdah, ni au sexisme, ni à encourager le cyberharcèlement de ses fans (jusqu'à l'antisémitisme). Ce qui n'a pas empêché Libération, dans un édito, de considérer que le titre de "lanceur d'alerte" que se donnait le rappeur "n'a rien de l'oxymore provocateur d'une presse people", sa croisade ayant mis en mouvement l'État français afin de sévir contre ces pratiques de promotion de produits douteux. 

Ces réserves n'empêchent cependant pas, en septembre 2022, Complément d'enquête de mettre en images de manière similaire les arnaques des influenceurs et influenceuses de l'agence de l'ex-courtière en assurances. De nouveau, Magali Berdah est au centre du travail journalistique de l'émission. L'offensive de Booba sur les réseaux sociaux sert de justification au sujet dans l'émission, bien que l'agence concurrente d'Arthur, cette fois-ci, n'échappe cependant pas à un examen critique elle aussi (la préparation de l'émission avait été lancée avant la polémique). Le rédacteur en chef et animateur de l'émission, Tristan Waleckx, utilise même les codes du rappeur sur les réseaux sociaux. Seulement pour désamorcer, suite au décalage-surprise de la diffusion l'émission de quelques semaines, toute suspicion de la communauté de Booba, justifie-t-il auprès de la journaliste et alors chroniqueuse d'Arrêt sur images Constance Vilanova. 

Il n'empêche, pour Booba, l'onction journalistique, par des enquêteurs chevronnés de médias reconnus, est un bonus de crédibilité indéniable. "Ça a amené le sujet, et puis c'est vrai que les gens qui en sont victimes, ils ne vont pas regarder Vrai ou Fake, mais ils vont peut-être suivre Booba, donc c'est plutôt bien", se félicite aussi le journaliste de France Télévisions Julien Pain dans l'émission de fact-checking Vrai ou Fake, lorsqu'il reçoit un des journalistes de Complément d'enquête pour promouvoir la diffusion à venir. Ce jour-là, Julien Pain oublie de rappeler que Booba, c'est aussi un propagateur de doute sur l'utilité vaccinale (et de désinformation complotiste, ce que le journaliste sait pourtant pour l'avoir couvert plus tôt dans l'année). 

Mais revenons à Complément d'enquête, qui remet le couvert avec Booba fin 2023, l'asseyant dans le célèbre fauteuil rouge d'invité d'après-reportage, cette fois pour parler de Cyril Hanouna. "Il est l'un des seuls à oser parler publiquement de Cyril Hanouna", justifie l'émission – dans laquelle Tristan Waleckx revient à plusieurs reprises sur les cyberharcèlements à l'égard de Magali Berdah engendrés par sa croisade contre les "influvoleurs", et sa condamnation pour harcèlement moral. Auprès d'ASI, la rédaction de Complément d'enquête ajoute : "Le fauteuil rouge n'est pas un tapis rouge. Et les gens qui viennent s'y asseoir ne sont pas des témoins de moralité mais des acteurs d'une problématique qui sont interviewés sans complaisance. Booba a eu droit au même questionnement objectif que d'autres avant lui, de Magali Berdah à Arnaud Lagardère, en passant par Patrick Balkany par exemple."

"Pour le rappeur, Cyril Hanouna est un fléau, un manipulateur qui donne la parole à des gens qui ne devraient pas être entendus. Il propage le mensonge et la propagande", résumait cependant de l'échange Complément d'enquête lors de la diffusion de cette interview. Ironie du sort : l'interviewé de la prestigieuse émission d'enquête de France 2 n'est pas le dernier lorsqu'il s'agit de propager le mensonge et la propagande, qu'ils soient complotistes, d'extrême droite ou les deux à la fois. Le dernier fait en date, et la raison de cet édito ? Qualifier d'"imbécile", puis d'"assassin" sur X un médecin qui venait de l'inviter à arrêter de propager une vidéo relayant la déclaration de Didier Raoult assurant (sans preuve, pour changer) que les vaccins ARN déclenchaient des maladies de Creutzfeldt-Jakob. De quoi faire déclarer à Julien Pain : "Booba qui dénonce les magouilles des influenceurs, pourquoi pas. Mais Booba antivaxx qui insulte les médecins, non." Le problème de l'onction journalistique est qu'elle n'est pas circonscrite au "Booba qui dénonce les magouilles des influenceurs" – ou à celui qui critique Cyril Hanouna. Un sujet pour un prochain Vrai ou Fake ?


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