Gaza : et l'illumination vint de CNN
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Gaza : et l'illumination vint de CNN

Tous les samedis, l'édito médias d'Arrêt sur images, cette semaine signé Loris Guémart, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Le Messie est arrivé à Gaza. Pardon, la journaliste de CNN Clarissa Ward a pu entrer à Gaza. LA Clarissa Ward, l'héroïque envoyée spéciale restée à Kaboul malgré la prise de pouvoir éclair des Talibans en 2021. Pas tout à fait le Messie, donc. Mais c'est tout comme pour les médias occidentaux. Elle est leur première représentante "officielle" (on va y revenir) à pouvoir pénétrer dans l'étroite bande de terre assiégée par Israël sans être cornaquée par les militaires israéliens, et leur étroit blocus informationnel (respecté par l'Égypte). Parce qu'ils savent, les militaires israéliens, que les médias occidentaux ne croient que ce que les leurs rapportent. La grand reporter du service international de CNN et son équipe de tournage viennent d'en (re)faire l'éclatante démonstration à leur insu. Leur entrée dans Gaza, aux côtés d'une équipe médicale des Émirats Arabes Unis, a un impact immédiat, et massif en Europe autant qu'aux États-Unis.

Leurs reportages ont fait l'objet de reprises immédiates dans le monde médiatique occidental – France comprise. "Des journalistes sans escorte au cœur de Gaza", indique ainsi le bandeau de BFMTV sans autre précision, alors que défilent à l'écran les images de CNN. "Des journalistes sans escorte au cœur de Gaza", parce que nous sommes face à une information nouvelle, exceptionnelle, inédite, semble nous dire la chaîne info. Sur les réseaux sociaux, les images de Clarissa Ward témoignant à l'antenne ou en reportage dans un hôpital de Rafah sont partagées et repartagées. Nous sommes collectivement émus par Amir, 20 mois, orphelin de guerre trouvé dans les bras de sa mère morte, dans les décombres d'un énième bombardement. Son visage d'enfant blessé symbolise la tragédie de cette offensive militaire assistée par l'IA, ayant vu le déversement de milliers de tonnes de bombes et d'obus sur les deux millions d'habitant·es de Gaza. "L'horreur de la guerre moderne", écrit Clarissa Ward, nous touche de plein fouet.

"Constater l’horreur, rapporter l’indicible", écrit le Huffington Post, tout aussi épaté que BFMTV, alors que la journaliste a déjà quitté Gaza. Une autre pensée me traverse. Le travail des dizaines de journalistes déjà présent·es à Gaza depuis le début de la guerre n'a jamais bénéficié du dixième de la couverture médiatique occidentale dévolue aux deux reportages de Clarissa Ward. Des journalistes qui continuent à couvrir courageusement la situation, risquant tous les jours leur vie sous les bombes israéliennes. Ces journalistes, dont plusieurs dizaines sont déjà mort·es, travaillent certes pour des médias arabophones (dont certains sont sous contrôle du Hamas). Mais bien d'autres exercent aussi en anglais, pour des médias occidentaux. On pense évidemment aux grandes agences de presse que sont l'AFP, Reuters ou AP. Mais aussi aux journalistes de la chaîne qatarie Al-Jazeera, dont le professionnalisme de la version anglophone, pour l'avoir regardée pendant 36 heures, n'a rien à envier à CNN.

Ces journalistes n'ont pas raconté l'histoire d'Amir. Mais ils ont filmé les bébés prématurés de l'hôpital Al-Shifa évacués de leurs couveuses. Huit sont morts. Ils filment aussi les enfants, dont les écoles tenues par l'Onu sont bombardées. Ils filment les adolescents, torturés parce que tous suspectés d'appartenir au Hamas. Ils filment aussi d'autres journalistes, tel Anas Al-Sharif dont le père est mort sous les bombes, ou Plestia Alaqad qui couvrait l'offensive en anglais de Gaza et a pu fuir en Australie. Ils couvrent les inondations et les épidémies qui ajoutent au désespoir des Gazaoui·es. La dévastation causée par l'opération militaire israélienne est tout aussi visible, tout aussi terrible sur l'antenne de la chaîne d'information que par l'intermédiaire des images de CNN rapportées par Clarissa Ward et son équipe. Mais nous ne voulions pas les voir. Notre indignation toute fraîche, toute nouvelle, toute admirative du travail "exceptionnel" de l'une des nôtres, une journaliste blanche, d'une chaîne occidentale, héroïne moderne de "notre" journalisme, montre notre racisme – nos œillères si l'on est charitable – plus sûrement que l'audience grandissante de CNews.

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