Propagandes de guerre, d'hier à aujourd'hui
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Propagandes de guerre, d'hier à aujourd'hui

Ca y est. Je suis officiellement antisémite. C'est le nommé Julien Bahloul qui l'écrit. Julien Bahloul, vous le connaissez forcément si vous regardez BFM, ou si vous regardiez i24News, ou encore si vous étiez journaliste en Israël entre 2018 et 2022. C'est l'un des bons clients préférés de BFM. Celui qu'appelle la chaîne quand elle souhaite recueillir l'avis "d'un habitant de Tel Aviv". Ou "d'un spécialiste de la société israélienne". Sans toujours préciser que le sémillant jeune homme fut, entre 2018 et 2022, porte-parole occasionnel de l'Armée israélienne, comme nous le rappelions ici, en 2022. Après notre enquête, la société des journalistes de BFM s'étant émue de cette omission, "l'habitant de Tel Aviv" était devenu "spécialiste de la société israélienne". Le revoici donc.

Soyons précis. Julien Bahloul, dans un tweet d'hier, dans la crainte salutaire et conjointe du tribunal et du ridicule, ne me traite pas ouvertement d'antisémite. Mais voilà : j'ai écrit noir sur blanc le nom de son ancien employeur, Patrick Drahi. Désignant les deux chaînes sur lesquelles ont été portées les assertions sur les "40 bébés décapités" du kibboutz de Kfar Ava, BFM et i24News, j'ai écrit que ces deux chaînes appartenaient au "groupe Drahi". Mon compte est bon. "Vous avez tous très bien compris le sous-entendu, clame Bahloul. Il aurait pu écrire "deux chaînes d'informations", ou "deux chaînes du groupe Altice". Il a écrit Drahi. Le petit Daniel en plein syndrome de Stockholm alimente les sphères conspirationnistes anti-juives."

J'avoue, cher ex-confrère, j'ai écrit Drahi. Comme, lorsque nous traitons des chaînes Bolloré, nous écrivons "les chaînes Bolloré", plutôt que "les chaînes Vivendi", sans doute aussi du fait d'un syndrôme de Stockholm par rapport aux islamogauchistes. Certes, Patrick Drahi, milliardaire franco-israélien (j'aggrave mon cas) n'est sans doute pas tout à fait aussi connu que Bolloré. Mais lui aussi, à sa manière, s'efforce de faire coïncider ses affaires et ses convictions, ayant créé i24News, votre ancienne chaîne, afin d'offrir "une alternative à Al Jazira", et "d'améliorer l'image d'Israël, selon des proches".

Dans ce long tweet de Bahloul, je ne suis pas la seule cible. Il s'en prend aussi au Monde, dont l'envoyé spécial à Kfar Aza a commis le forfait d'écrire qu'aucune source officielle, sur place, n'avait confirmé devant lui la décapitation de bébés. Sans doute cet envoyé spécial, le grand reporter Samuel Forey, n'avait-il pas rencontré sur place la source de l'info de i24News, le nommé David Ben Zion. A en croire le site pro-palestinien Mondoweis, c'est ce Ben Zion, membre du Conseil Régional de Samarie, organe d'administration des colonies israéliennes édifiées illégalement au nord de Ramallah, qui est à l'origine de l'assertion sur la découverte de corps d'enfants décapités à Kfar Aza. En mars dernier, dans un tweet (effacé depuis) Ben Zion appelait à "l'anéantissement" du village palestinien de Huwara, après qu'un Palestinien originaire de ce village avait tué deux Israéliens résidents d'une implantation illégale (c'est Samuel Forey, alors journaliste à Libération, qui racontait l'histoire).

Prototype chimiquement pur de la propagande de guerre, les "40 bébés décapités" ont fait, hier, leur chemin jusqu'à la Maison Blanche, où le président Biden, très ému,  a confié  "Je n’aurais jamais pensé voir des photos authentifiées de terroristes décapitant des enfants". Avant que la Maison Blanche, quelques heures plus tard, doive préciser que Biden n'avait pas vu personnellement les photos en question, mais s'était fondé sur les affirmations du gouvernement israélien et...des médias. Comment ne pas revoir l'image désormais iconique du secrétaire d'Etat US Colin Powell, en 2003, brandissant à l'ONU les prétendues preuves des armes de destruction massive fabriquées par Saddam Hussein ?

Pour en revenir à lui, Julien Bahloul a raconté avoir ressenti hier "honte" et "douleur" en devant solliciter des responsables israéliens des précisions sur les corps des bébés découverts. C'est à dire, faire un travail de journaliste. "Les mots exacts sont : "ils se sont acharnés sur les cadavres, ils les ont attachés, charcutés, brûlés" rapporte-t-il. Bahloul nous reproche de "polémiquer sur la méthode du meurtre de bébés". Dans la bahloulosphère, comme prévisible, on reproche à tous les journalistes qui, s'obstinant à faire leur métier, -établir les faits- d'ergoter sur les cadavres. C'est détestable, d'ergoter sur des cadavres. Sachez que nous sommes accablés, autant que vous, de devoir le faire. Sachez que l'évocation même d'un seul corps de bébé martyrisé à Kfar Ava nous tord le ventre, nous révulse, comme vous. Et aussi à Gaza. Et vous ?

Pour couper court à toute ambiguïté dans ce récit complexe, je rappelle que le kibboutz de Kfar Aza, comme toutes les localités visées par l'attaque du Hamas du 7 octobre, n'est nullement situé dans les territoires illégalement occupés par Israël, mais bien à l'intérieur des frontières israéliennes, reconnues par la communauté internationale. 

Mise à jour, 16 octobre : le compte Twitter de Benjamin Netanyahu a publié le 12 octobre trois photos montrant des bébés assassinés ou carbonisés.


Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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