D'abord le drapeau, en majesté, au centre exact de l'image. L'oeil descend ensuite sur une paire de menottes. Six brochures au sujet indiscernable, géométriquement disposées. Trois chargeurs. Six grenades, tout aussi géométriques. Des gilets pare-balles. Et un carton de dattes, ouvert. 

Je n'ai d'abord pas voulu croire qu'il s'agissait d'un carton de dattes.

On le distingue mieux sur cette autre photo, prise avant la mise en scène.

D'où l'on déduit qu'il y eut deux temps. Un temps pour disposer géométriquement la prise sur les tables. Un temps pour convoquer l'unité, portant son drapeau.

Pour prendre l'hôpital Al-Shifa de Gaza, Israël a bombardé des ambulances, coupé l'électricité, assiégé, affamé, contraint les médecins à boire de l'eau de mer. On dénombre, au 16 novembre, "selon les autorités de santé de l'enclave, anciennement administrée par le Hamas" ainsi que source désormais Le Monde, 11 000 morts, et 1,6 millions de déplacés. Le monde entier a dans l'oeil les images de familles contraintes à l'exode au risque des bombardements, d'enfants pantelants amenés en hâte dans les hôpitaux, de cadavres entassés en plein air, faute de pouvoir les enterrer. "Nous nous efforçons de faire un nombre minimum de victimes civiles. Malheureusement, [nos efforts] ne sont pas couronnés de succès" vient de déclarer Benjamin Netanyahou à CBS News.

Le carton de dattes, quelqu'un a dû se dire qu'il habillerait la photo. Qu'il s'insérerait dans la symétrie des deux côtés de la table. Que cela serait plus convaincant pour Joe Biden. Et pour les diplomates américains qui trouvent que Biden va trop loin dans le soutien à Israël. Et pour le Los Angeles Times qui appelle désormais au cessez-le-feu.  Et pour le conseil de sécurité de l'ONU. Et pour l'opinion américaine, à qui Israël a juré que l'hôpital Al-Shifa était le centre du Mal, le centre des souterrains, des bunkers, le grand état major, la tête de l'hydre. De fait Al-Shifa, rappelle Le Monde, fut en 2014 le cadre de conférences de presse du Hamas et aussi pour les opposants au Hamas un lieu de détention et de tortures, selon Amnesty International.

Il parait que l'offensive Israélienne à Gaza  a obtenu des résultats. Qu'elle progresse dans les ruines. Que le Hamas est à court de roquettes. "Vous souvenez-vous qu’ils nous avaient dit de ne pas avancer dans Gaza ? a rappelé Benjamin Netanyahou à ses soldats. Nous avons avancé. Ils nous ont dit de ne pas entrer à Al-Shifa, nous y sommes entrés. Il n’y a pas d’endroit à Gaza que nous ne puissions atteindre. Il n’y a pas de cachette. Il n’y a pas d’abri ou de refuge pour les meurtriers du Hamas." De fait, un peu avant, ou un peu après la photo du carton de dattes, un autre arsenal, plus conséquent, a été saisi à Al-Shifa, selon l'Armée israélienne.

Les autres photos passeront. Le carton de dattes pourrait bien rester. Ce carton de dattes, c'est le sublime but marqué par Israël contre lui-même. Jusqu'au carton de dattes, Israël avait mis en scène ses minces découvertes, rajoutant paar ci par là un AK 47 derrière un IRM, pour habiller la photo. C'était de la propagande de guerre ordinaire, comme la pratiquent toutes les armées du monde. Avec les dattes, on franchit un cap. Israël a été admiré. Israël a été haï. Israël n'avait jamais été ridicule. C'est fait. Avec la photo des dattes, l'Armée israélienne atteint le point de fusion exact entre le crime de guerre et la bouffonnerie, entre le cynisme et l'inconscience.

On espère au moins que les dattes étaient bonnes