Israël, peuple aveuglé
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Israël, peuple aveuglé

En définitive, que reproche le concert d'indignés à LFI, dans son fameux premier communiqué de samedi matin, le "communiqué de la honte" (L'Express) celui qui sert de support à l'éternel retour du refrain sur "l'antisémitisme de Mélenchon" (Elizabeth Borne, reprise par Anne Rosencher, de L'Express, encore) ? Moins ce qu'il dit, que ce qu'il ne dit pas. Et fondamentalement, de ne pas avoir respecté un délai de décence. 

Le "communiqué de la honte" commence ainsi : "L'offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d'intensification de la politique d'occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est". Qui soutiendra que cette phrase est factuellement fausse ? On peut certes en contester les termes. On peut estimer que les "forces palestiniennes" pourraient plutôt être qualifiées de "terroristes". Ca se discute. Combien étaient les assaillants de Soukkot ? Plusieurs centaines ? 1500 Palestiniens ont été tués sur le territoire israélien, estime Israël ce mardi matin. 1500 terroristes ? L'opération terrestre, maritime, aérienne, tient-elle davantage du détournement d'avion, du commando Bataclan, ou de l'offensive armée ? Ca se débat. Elle s'en prend aux civils ? Oui. Comme les bombardements israéliens. De même, on peut estimer le "toutes les parties doivent revenir à la table des négociations" particulièrement stupide. Aucune "partie" actuelle ne s'est jamais assise autour d'une table de négociations, ni le Hamas, ni Netanyahu.

Mais ce n'est pas cela, qui est reproché à LFI, par l'unanimité politique et médiatique. Lui est reprochée, fondamentalement, son absence d'empathie pour les victimes israéliennes. Samedi matin, voyant les images de ces victimes qui nous ressemblent tant, LFI aurait dû respecter le moment de sidération, le moment d'effroi, le moment grand mère assassinée dont l'assassinat est posté par ses assassins sur son propre compte Facebook, le moment fêtards mitraillés de la rave party, le moment familles terrées dans les refuges blindés, le moment enfants dans les cages (même si l'image est antérieure). En politique, comme dans l'exercice journalistique, ce ne sont pas seulement les mots qui comptent, mais aussi les moments pour les prononcer, ou surtout les éviter. 

Depuis que les avions de Netanyahu pilonnent les "animaux humains" de Gaza (Yoav Gallant, ministre de la Défense israélien, rejoignant au paroxysme de la folie colonisatrice le "exterminez toutes ces brutes" de Conrad), la réduisent en miettes, depuis que ledit Gallant a décidé d'affamer les Gazaouis, de les assoiffer, sinon de les enfumer comme des nuisibles dans leur terrier, le moment arrive à grands pas. Pour rappeler "le contexte", cette incontestable intensification des occupations illégales, il suffisait d'attendre un peu. Ou, comme Ruffin, de le cantonner  à sa place dans les communiqués : le deuxième, le troisième paragraphes.

Pourtant ce communiqué, je l'avoue, ne m'a pas choqué sur l'instant. Les horribles images, à aucun moment, ne m'ont masqué le contexte "d'intensification de la politique d'occupation israélienne". Et je ne suis pas allé, lundi soir, au rassemblement parisien appelé par le CRIF, alors que j'avais défilé sans hésiter le 11 janvier 2015 après Charlie et l'Hypercasher et, plus loin encore en 1990 (mais je n'ai pas de traces), en protestation contre la profanation du cimetière juif de Carpentras.

Je n'y suis pas allé. Malgré cette adolescente de la rave partie, prise en sandwich entre deux ravisseurs sur une moto, et qui lance un geste de détresse. Malgré la grand mère, qui aurait pu être la mienne. Malgré les bébés qui pourraient être mes petits-enfants. Malgré ce qui aurait été la réaction de ma mère si elle avait été encore en vie -je me souviens de sa joie aux Six Jours, de sa sidération au Kippour, et des enveloppes de collecte des oeuvres juives qui arrivaient régulièrement à la maison.  Malgré mon obsession pour la tragédie qui a présidé à la création d'Israël.  Malgré la conscience de cette même tragédie qui attend patiemment, sûre d'elle, de reprendre ses droits sur ce peuple aveuglé. 

 Je n'ai rien de commun avec ce peuple aveugle, qui a élu Netanyahu, qui a envoyé au gouvernement des "bras cassés" (Elie Barnavi) qui considèrent les Palestiniens comme des vermines, exigent des militaires qu'ils prennent des congés lors des fêtes religieuses, et affectent l'armée au soutien des colonies illégales de Cisjordanie, plutôt qu'à la protection des populations.  Aveugle : n'est-ce pas le mot qui caractérise le présent de ce peuple, y compris dans ce qu'il a de meilleur ? Bien sûr, jusqu'au 7 octobre, une partie de la société civile s'était dressée contre la réforme de la Justice de Netanyahou. Bien sûr, une partie des réservistes refusaient d'effectuer leurs périodes de réserve. Mais quelle idée folle, de la jeunesse israélienne, d'aller danser pour Soukot à quelques kilomètres du mur de Gaza ! (Ecouter à ce propos Dominique Moïsi sur France Info, très éclairant). 

Que l'on ne me parle pas des gentils peuples, opposés à leurs méchants dirigeants. Le peuple israélien, très démocratiquement, a fait disparaître la gauche de la scène politique. Le peuple de Gaza a élu le Hamas (cela remonte à 2007, il est vrai). J'ai la chance, vivant en France, d'avoir les moyens d'échapper à cet aveuglement, auquel oeuvrent aussi les médias israéliens, à l'exception notable de Haaretz, qui représente ce qu'on peut faire de mieux en matière d'engagement journalistique, mais hélas plus influent à l'étranger qu'en Israël. Disons, pour ménager l'avenir, que je ne me sens rien de commun avec le moment que traverse ce peuple.


Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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