Hamas : apologie (s) du terrorisme
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Hamas : apologie (s) du terrorisme

"Pour vous, attaquer des civils, c'est un acte de résistance ?" C'est la présidente du tribunal correctionnel de Grenoble qui pose la question à Mohamed Makni, 73 ans, retraité et élu municipal à Echirolles (38). L'audience est relatée par Le Monde, qui consacre une grande enquête à la multiplication des procédures judiciaires, en France, pour apologie de terrorisme, après le 7-Octobre. Sur le groupe Facebook des Franco-tunisiens de Grenoble, Makni, le 11 octobre dernier, a écrit, à propos des Occidentaux : "ils s'empressent de qualifier de terrorisme ce qui, à nos yeux, est un acte de résistance évident". Il reprenait ainsi sans guillemets, précise Le Monde, une phrase tirée d'une tribune de l'ex-ministre tunisien des Affaires Etrangères, Ahmed Ounaïes (dont il donnait le lien). 

"Est-ce que le 7-Octobre est légitime ou pas ?" l'interroge une avocate des parties civiles (l'Organisation Juive Européenne (OJE) et le CRIF Grenoble-Dauphiné). Le prévenu : "C'est un conflit qui dure depuis soixante-quinze ans". Et il met en cause le "deux poids deux mesures" de la France. La présidente : "Je ne vais pas me répéter douze mille fois. On juge uniquement de ce qui s'est passé le 7 octobre. Pas de la politique de la France". La procureure a requis contre lui quatre mois de prison avec sursis, et 800 euros d'amende dont 400 avec sursis. L'OJE et le CRIF ont respectivement demandé 2600 et 2000 euros de dommages et intérêts. Le jugement devrait être rendu le 26 mars.

Selon le ministère de la Justice, 626 procédures ont été lancées au 31 janvier 2024 pour apologie de terrorisme,  et des poursuites engagées contre 80 personnes, lesquelles se subdivisent selon une avocate en deux profils distincts : militants politiques et syndicaux d'un côté, et de l'autre des anonymes, "dans 90% des cas des personnes d'origine maghrébine ou musulmans". "Bien souvent, écrit Christophe Ayad dans Le Monde, les mis en cause sont convoqués pour une audition par la police, puis plus rien". Ce qui peut s'appeler de l'intimidation, ou de l'embarras, ou les deux à la fois (parler d'intimidation, est-ce de l'apologie du terrorisme ?) Dès le 9 octobre, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti avait appelé les procureurs à une "réponse pénale ferme et rapide" des apologies présumées. Et si toutes ces procédures sont possibles en France, c'est parce que le Hamas est considéré, par l'UE et les Etats-Unis, comme un mouvement terroriste.

En revanche, la Justice a évité de convoquer des politiques, comme les députés insoumis ayant aussi parlé de "résistance" -Danielle Obono (après harcèlement par le journaliste Jean-Jacques Bourdin) ou Thomas Portes. 

Entre les deux (l'inaction et le procès), se trouve le cas instructif de l'ex-basketteuse Emilie Gomis, convoquée pour apologie du terrorisme après avoir mis en ligne sur Instagram (puis retiré) une carte de la France progressivement recouverte par le drapeau israélien, avec la légende "Que feriez-vous dans cette situation ?" Elle n'a pas été poursuivie, mais néanmoins poussée à quitter son poste d'ambassadrice des JO 2024, après intervention du CRIF.

Où commence exactement l'apologie ? Prenons ce fameux visuel d'Emilie Gomis, qui transpose à la France de manière symbolique et imaginaire l'occupation israélienne de la Palestine. Simple comparaison pédagogique, visant à faire comprendre au public français l'oppression des Palestiniens, et à suggérer une comparaison entre le Hamas et la Résistance française contre le nazisme ? Au contraire, insupportable suggestion antisémite d'une domination juive s'étendant progressivement sur l'hexagone ? Entre ces deux interprétations extrêmes d'un visuel dont la seule chose certaine est qu'il est embarrassant, toutes deux assurément défendables à la manière d'un test de Rorschach, se déploie tout un arc de polysémie, et de malentendus plus ou moins volontaires.

L'affaire est à peine plus simple concernant les messages par les mots, et non par l'image. Rappeler, par exemple dans l'affaire Mohamed Makni, que si le Hamas est en Europe qualifié de mouvement terroriste, ce n'est pas le cas ailleurs (par exemple, en Tunisie) constitue-t-il une apologie détournée, ou un simple rappel factuel ? Si j'écris : "le Hamas a commis le 7 octobre un acte de terrorisme, considéré dans la plus grande partie du monde comme un acte de résistance", est-ce que je me rends coupable d'une apologie du terrorisme ?

C'est un cas de figure. Car je suis journaliste, et il est vraisemblable (mais non certain, tout est possible après tout) que je ne serais pas poursuivi, la loi française accordant une liberté d'expression plus large aux journalistes qu'aux simples citoyens. Sans doute d'ailleurs, scrupuleux journaliste que je suis, ne l'écrirais-je pas ainsi. Si je devais moi-même qualifier, avec mes mots de journaliste, l'attaque du 7 octobre 2023, je dirais qu'elle constitue à la fois une évidente action terroriste, en ce qu'elle vise à terroriser la population israélienne dans son ensemble et, si on la considère dans son contexte, oui, une action de résistance d'un peuple colonisé contre son colonisateur. J'ai d'ailleurs parlé "d'attaque" ce qui pourrait me valoir aussi des poursuites, pour n'avoir employé ni le mot de "massacre" (que je pourrais d'ailleurs aussi employer), ni même celui de "pogrom" que le journaliste de BFM Benjamin Duhamel reprochait l'autre semaine à Mélenchon de refuser d'employer (j'en discutais dans notre émission de la semaine dernière avec l'avocat et fondateur du mouvement Golem Arié Alimi).

Mais si, en vertu de cette généreuse liberté de la presse, je dis que la limitation de la liberté d'expression de mes concitoyens non-journalistes en cette matière me chatouille désagréablement, comme elle chatouille visiblement mon confrère du Monde ;  si je dis mon malaise à voir des magistrats se changer en professeurs tâtillons d'histoire contemporaine, à voir les prétoires se transformer en amphis amateurs de sémiologie des images : me rends-je coupable d'apologie de terrorisme ? 



Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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