Y a-t-il encore quelqu'un pour tenir la police ?
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Y a-t-il encore quelqu'un pour tenir la police ?

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Le Parisien était-il à court de questions ? Il y en avait pourtant beaucoup à poser à Frédéric Veaux, patron de la police nationale, DGPN dans le jargon. Le 23 juillet, Veaux lâche une bombe, reprise en titre de l'interview réalisée par le quotidien : "Avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison." Comment l'interview a-t-elle été réalisée ? En face à face ? On en doute. La photo illustrant l'article, qui donne l'illusion d'un entretien-vérité-les-yeux-dans-les-yeux, date de 2020 (c'est écrit dans la version web, pas dans la version papier). Par téléphone ? Par écrit ? Rien n'est précisé. On ne saura pas pour quelle raison Frédéric Veaux n'est pas relancé, questionné, bousculé sur une telle déclaration, surtout au vu du contexte. 

Le contexte, c'est Hedi, 22 ans. Dans la nuit du 2 au 3 juillet, au plus fort des révoltes urbaines survenues après la mort de Nahel lors d'un contrôle de police, le jeune homme se balade dans Marseille avec un ami, comme il le raconte à Mediapart : "«Il y avait un hélicoptère, on a eu l’idée de le suivre, ce qui n’était pas très malin, concède Hedi. Mais bon, un hélicoptère qui survole le ciel à Marseille dans un tel chaos, on n’en voit pas tous les jours.» Lui et Lilian, son ami, arpentent les rues du centre-ville en suivant l’engin des yeux." La suite est tristement banale : les deux jeunes hommes croisent la route d'un équipage de la bac, l'un des policiers fait usage de son LBD. Hedi est touché à la tête. Des policiers l'encerclent, le frappent, toujours selon le récit d'Hedi, puis l'abandonnent à son sort sur le trottoir. Pas d'interpellation, rien à lui reprocher. Il faut l'intervention de son ami et de commerçants pour transporter Hedi à l'hôpital avec un bilan lourd : traumatisme crânien, mâchoire fracturée, 60 jours d'ITT. Les médecins ont dû trépaner Hedi pour soulager son cerveau pendant l'intervention. Enquête confiée à l'IGPN, quatre policiers sont mis en cause, puis mis en examen pour "violences volontaires en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme, ayant entrainé une ITT supérieure à 8 jours". L'un d'eux, que la justice présume être le tireur, est placé en détention provisoire. Après le policier qui a tiré et tué Nahel, c'est la deuxième fois en moins de deux mois. 

Trop pour les policiers marseillais. Lors d'une scène surréaliste diffusée par BFMTV, ils font une haie d'honneur à leurs quatre collègues qui quittent les locaux de l'IGPN pour être présentés à un juge d'instruction. Applaudissements, slogans et un cri : "On vous lâche pas !" Le mouvement ne s'arrête pas là : des dizaines se mettent en arrêt maladie. Refusent de travailler au-delà du strict minimum. Veaux réagit dans le Parisien : "Ces arrêts maladies ne s'étendent pas au reste du territoire, même s'il existe des mouvements de solidarité." Presque un vœu. Encore une fois, pas de relance. Pas de question supplémentaire. Puis vient le cas précis du policier marseillais. Question : "Souhaitez-vous aussi la remise en liberté de ce policier de la Brigade anticriminalité ?" Veaux : "Oui. Le savoir en prison m'empêche de dormir." Question : "Vous comprenez donc ce mouvement de fronde ?" Réponse : "Je comprends l'émotion, et même la colère, qu'a pu susciter dans les rangs policiers le placement en détention de l'un des leurs. [...] Je considère qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail." 

C'est dit, le policier devrait être exempté de la loi qui s'applique au commun des mortels. Et ce alors même que Frédéric Veaux assume "ne pas connaître" le contenu de l'enquête en cours. Peu importe donc ce qui s'y trouve, la règle devrait s'appliquer en toute circonstance. Tout le temps ? "J'exclus de mon propos les affaires qui concernent la probité ou l’honnêteté". Lesquelles ? Qu'est-ce que l'honneur ou la probité ? On ne saura pas, pas de relance. Et puis il y a cette phrase glissée dans une longue réponse, l'air de ne pas y toucher : "L'émotion et la colère passées, il faut se donner les moyens techniques et judiciaires pour que ce fonctionnaire de police retrouve la liberté." C'est-à-dire ? "Les moyens techniques et judiciaires" sont là pour aider la vérité à se manifester, pas à ce qu'un homme, fût-il policier retrouve la liberté, ni ne soit condamné. Juste à établir les faits. Alors quoi ? Mettre l'appareil au service d'un policier ? Influencer l'enquête ? Faire pression sur la justice ? Le Parisien n'a pas jugé bon de poser la question.

Dans la foulée, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, a pris fait et cause pour la police marseillaise (qu'il connaît bien, il a été préfet des Bouches-du-Rhône). Dans un tweet, Nuñez "partage les propos du DGPN". Et Gérald Darmanin ? Qu'en dit le ministre ? Pas de prise de parole en son nom, mais des off lâchés ci et là, signés de "l'entourage" du ministre (comprendre Darmanin lui-même) : "Le directeur général de la police nationale a toute la confiance du ministre". Il fallait donc s'en remettre à Emmanuel Macron lui-même pour remettre un peu d'ordre dans la maison police, et rappeler qui est le patron (en l'occurrence, le gardien des institutions selon la Constitution). Encore raté ! Dans une interview en visio depuis Nouméa, le président a refusé de commenter les propos de Frédéric Veaux, se bornant à rappeler que les policiers ne sont pas au-dessus des lois. Un appel du pied, quand même, aux flics marseillais : "Je comprends l’émotion chez nos policiers." À se demander qui dirige qui. Reste un grand absent dans ce débat, un nom qui n'est prononcé ni dans les pages du Parisien, ni pendant l'interview d'Emmanuel Macron par France 2 et TF1 ce 24 juillet. Celui d'Hedi, trépané à 22 ans après avoir reçu un tir de LBD en pleine tête.

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