Drapeau palestinien : Faure pris dans les filets de la post-vérité
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Drapeau palestinien : Faure pris dans les filets de la post-vérité

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Rien ne se perd, tout se transforme. À partir d'un tweet de deux petites lignes publié dimanche 14 septembre sur X par le premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure, les médias ont réussi à tenir près d'une semaine, non pas avec une mais deux polémiques.

Le tweet en question ? Une capture d'écran d'un article du Parisien sur Pedro Sanchez, premier ministre espagnol, exprimant son "admiration" pour les manifestations propalestiniennes lors du Tour d'Espagne de cyclisme, accompagné du commentaire : "Le 22 septembre, quand la France reconnaîtra enfin l'État palestinien, faisons flotter le drapeau palestinien sur nos mairies". La proposition elle-même a suscité un flot de réactions et alimenté une bonne partie des chroniques audiovisuelles de nombreux éditocrates en panne d'inspiration. L'occasion de diffuser, une fois encore, et sans contradiction, des propos criminalisant et stigmatisant le drapeau palestinien. Ainsi, Robert Ménard a pu affirmer sans trembler sur LCI (24h Pujadas, 17 septembre) que brandir le drapeau palestinien c'est "faire le jeu du Hamas" ou encore Rachel Khan le décrire sur Radio J comme..."un drapeau néonazi" (oui oui).

C'est un échange de tweets entre Faure et - non pas un simple "internaute", comme ont pu l'écrire certains médias - Julien Bahloul, franco-israélien et ancien porte-parole réserviste de l'armée israélienne, qui a alimenté la machine. Ce militant - ou propagandiste, au choix - a répondu à la publication de Faure, afin de diffuser le message suivant auprès de ses plus de 100 000 abonnés : "Le 22 septembre est le soir du nouvel an juif, Rosh Hashana. Apparement, Olivier Faure cherche à dépasser Mélenchon sur son propre terrain puant". 

Ici, et contrairement à ce qu'euphémise Le Monde (via AFP), Bahloul ne s'est pas contenté de lui faire "remarquer que cette date correspondait aussi cette année à Roch Hachana, le Nouvel An juif" mais sous-entend ("terrain puant") que ce choix de date n'est pas un hasard. Pire que ça, qu'il est une provocation faite aux personnes juives. Alors même qu'Olivier Faure ne fait que reprendre la date fixée par la France (et 141 autres Etat membres de l'ONU) pour reconnaître l'Etat Palestinien."Tant que vous penserez que vous ne pouvez fêter le nouvel an juif et l'an 1 d'un Etat palestinien, vous ne sèmerez que la haine, le désespoir et la mort", lui répond alors à son tour le premier secrétaire du PS. 

Un propos décontextualisé et déformé

Il n'aura pas fallu plus de quelques heures pour qu'elle soit déformée, décontextualisée et instrumentalisée pour accuser Faure d'antisémitisme. "Les juifs du monde entier ne pourraient donc pas fêter leur nouvel an, tant que l'Etat de Palestine n'existe pas? La surenchère antisémite devient ignoble", commente Jacques Attali. Plusieurs figures d'institutions juives lui emboitent le pas, à l'instar du Président du Consistoire Central de France Elie Korchia, qui y voit un "exemple flagrant de l'essentialisation des juifs et de cette haine d'Israël qui se transforme sous nos yeux en de l'antisémitisme".

Premières interprétations erronées (ou malhonnêtes ?) d'une longue série faisant fi du contexte dans lequel Olivier Faure a publié ce message et affirmant, à tort, qu'il dresse lui même un pont entre reconnaissance d'un Etat palestinien et nouvel an juif."Il fait un parallèle nauséabond entre les drapeaux palestiniens et le nouvel an juif", affirme Gauthier Le Bret (le 15 septembre sur Europe 1), ajoutant (malgré les clarifications du premier intéressé"C'est qui le « vous » qu'utilise olivier Faure ? C'est la communauté juive, c'est ça ?", provoquant l'acquiescement général en plateau.

"Olivier Faure estime également que ceux qui ne peuvent pas fêter cela et le nouvel an juif qui arrive concomitamment seraient des semeurs de mort et de haine. Que veut-il ? Que veut Olivier Faure ?" lance aussi, sur la même antenne, Sonia Mabrouk à Marine Le Pen qui s'empresse de répondre que "comme toute la gauche française et européenne" il voulait "faire des juifs des parias" et "accessoirement peut-être un jour, les faire partir"Mêmes interprétations dans les chroniques d'éditorialistes sur Radio Classique, Sud Radio, RTL, ou encore LCI.

Le Point va même jusqu'à titrer "Des drapeaux palestiniens sur les mairies pour Rosh ha-Shana" et à donner la parole à l'historien Marc Knobel pour analyser le tweet de Faure comme un "révélateur des ambiguïtés et dérives relativistes de la gauche face à l’antisémitisme".

Instrumentalisations politiques

Un procédé particulièrement malhonnête, repris jusque dans son propre camp, notamment par Jérôme Guedj dans les colonnes de l'OpinionCe qui a largement participé à lancer une "polémique", reprise, alimentée et racontée, jusque dans les colonnes du MondeLe tweet en question étant considéré partout, à minima, comme une maladresse. "Si c'était à refaire, vous l'écriveriez de la même manière, y'a aucun regret ?" demandait Adrien Gindre à Olivier Faure, invité dans la matinale de TF1 ce jeudi 18 septembre. Réponse : "Je m'adressais à un activiste sur les réseaux sociaux, peut-être aurais-je dû m'épargner cette réponse à cet homme qui en permanence harcèle sur les réseaux sociaux. Je lui répondais à lui, et non pas au monde des Français juifs ou au monde juif dans son ensemble."

Une surenchère médiatique, ponctuée de pseudo-analyses politiques en tout genre, comme ici sur Europe 1 : "En réalité, Olivier Faure lance cette polémique comme un contrefeu pour faire oublier les négociations de non-censure avec Sébastien Lecornu"De nombreux toutologues y ont vu une façon de chercher à singer La France Insoumise, ou une stratégie électoraliste, comme Guillaume Tabard sur Radio Classique ("en jouant avec la cause palestinienne, en courtisant à son tour l'électoral musulman, c'est à la fois dangereux et peu glorieux") ou Christophe Barbier sur LCI ("Faure a finalement montré qu'il était soumis aux Insoumis").

Seul Marianne, par la voix de son journaliste Hadrien Mathouxa l'honnêteté intellectuelle de dénoncer "la délirante «affaire» Olivier Faure, symptôme de la trumpisation du débat", pointant à juste titre : "le signe d'une hystérisation du débat autour du conflit israélo-palestinien, et de l'émergence de techniques argumentatives dignes du trumpisme, consistant à tordre sciemment les propos d'un adversaire pour le mettre en difficulté". Le fait qu'une grande partie de l'espace médiatique se soit saisi d'une instrumentalisation grossière d'accusations d'antisémitisme est un signe de plus que nous avons collectivement sombré dans la post-vérité. 

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