Suzanne Citron, déconstructrice
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Suzanne Citron, déconstructrice

Au fond, le plus bel hommage à Suzanne Citron est celui du compte-phare de la fachosphère, FDesouche : "une ardente francophobe a quitté notre horrible pays et son passé immonde". La jubilation mauvaise de l'adversaire naturel : quelle plus belle épitaphe ?

Outre l'hommage de ses nombreux amis et disciples, il faut croire que l'historienne, autrice du "Mythe national", et disparue à 95 ans, devra se contenter de celui-là. Elle n'aura ni les larmes de Stéphane Bern, ni la cour d'honneur des Invalides. Déconstructrice des mythes nationaux,  Citron n'a, par définition, pas sa place au Panthéon.

J'ai toujours senti dans le travail que nous faisions ici une véritable filiation avec l'oeuvre discrète de Suzanne Citron. Si elle s'était attaquée à du gros, du très gros gibier (Vercingétorix, Clovis, ce sacré Charlemagne, et tous les autres joyeux compagnons du roman national écrit par la IIIe République), nous déconstruisons jour après jour ces micro-mythologies quotidiennes, qu'on appelle la com'. Regardez par exemple la dernière chronique de Sherlock sur les plateaux repas frugaux servis à Macron par le chef de l'Elysée. Qu'est-ce d'autre que du micro-Citron ? La démarche est la même, et c'est pourquoi le travail de Mathilde Larrère , inauguré d'ailleurs par une chronique sur Nos ancêtres les Gaulois, s'intègre si bien chez nous. Le monde est petit : ce n'est pas un hasard si la principale animatrice des néo-citroniens, Laurence De Cock, qui avait offert une nouvelle vie au "Mythe national" en l'offrant à François Fillon lors d'une émission de télé pendant la présidentielle, est l'inséparable binôme détricoteuse de Mathilde.

Charlemagne et croque-monsieur

Cette démarche de déconstruction se heurte aux mêmes obstacles. Un éternel destin de minoritaire, d'abord. Bon, on fait avec. Mais il y a pire. Il y a aussi (surtout ?) l'incontestable séduction, l'irrésistible puissance d'attraction, qu'exercent sur nous-mêmes ces mythologies, grandes et petites, dont nous sommes abreuvés. Car oui, nous sommes assoiffés de mythes. Nous aimons penser que nous descendons en droite ligne d'un empereur franchouillard à la barbe fleurie qui séparait les bons des mauvais élèves, comme nous aimons penser que son lointain successeur imberbe, au service de tous, se fait servir des croque-monsieur-salade par le chef de l'Elysée. Et c'est contre cette attraction en soi-même, contre ces croyances structurantes, qu'il faut aussi lutter, ce qui n'est pas le plus facile.

A l'occasion de sa mort, Mediapart a re-tweeté un entretien accordé en 2009 par Suzanne Citron à Antoine Perraud. Etrange entretien, où l'interviewée ne répond pas vraiment à l'intervieweur. 

"Que répondre à ceux qui pensent qu’il faut d’abord être gorgé de mythes nationaux pour ensuite pouvoir les déconstruire ?" demande Perraud à Citron, qui répond à côté, comme si elle n'avait pas compris la question.

C'est pourtant une vraie question. Pour déconstruire les mythologies, médiatiques comme historiques, et pour tenter d'attirer dans cette déconstruction une partie du public captif, ne faut-il pas dans un premier temps s'être soi-même laissé envoûter, séduire, captiver par elles ? Ne faut-il pas que cette déconstruction représente un arrachement, une quasi-trahison intime ? Merci, Suzanne Citron.

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