Sautet, prophète de l'après-glorieuses
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Sautet, prophète de l'après-glorieuses

Même si l'on n'aime pas, ou ne connait pas trop Claude Sautet

, il faut évidemment se jeter sur le cycle Sautet, que propose Arte du 20 avril au 4 mai. Pas seulement pour la perfection narrative de ses films, pour le plaisir d'y voir jouer les meilleurs acteurs français, et pour cet art de l'équidistance permanente entre le consensuel et le raffiné. Mais aussi pour cette incroyable valeur de documentaires historiques qu'ils prennent, quarante ans après.

Le personnage central de la galaxie Sautet, c'est Michel Piccoli (ou Yves Montand, ils sont interchangeables dans le rôle) en petit patron. Promoteur ou ferrailleur, le quinqua aux tempes argentées est saisi en situation de crise. Dans Mado, ou dans "Vincent François Paul et les autres", il a une traite à honorer, une catastrophe, trois millions absolument, ou dix, ou onze, avant vendredi. C'est l'époque incroyable où, même au prix de quelques insomnies, et de quelques cognacs descendus cul sec, quelques millions se trouvent encore dans les poches de copains. Cette crise, ces quelques jours, c'est évidemment la faille par laquelle va s'engouffrer la grande, l'interminable crise, dans laquelle nous nous débattons encore. Est-ce un hasard si la fascination de Sautet pour le petit patron fourbu culmine de 1971 à 1976, c'est à dire exactement la période du choc pétrolier de 73, date communément admise comme la fin des Trente glorieuses ?

Dedans dehors. Un pied dans les glorieuses, un pied dans l'apocalypse : c'est sur cette mince période crépusculaire, entre élégance et débâcle, que Sautet pose sa caméra. Montand ou Piccoli, le sous officier de la croissance aux tempes grises reste séduisant, et désespérément classe avec les femmes, même si les cataclysmes s'annoncent : débâcle des organes, somnolences au volant, chômage, émergence des dragons d'Asie. S'annoncent seulement. Chez Sautet, pas de chômeurs, pas d'immigrés, pas de viagra. C'est un cinéma d'intuition, pas d'anticipation.

Autour du héros, gravitent les satellites d'un monde en perdition. Des copains qui aimeraient bien l'aider, mais tu comprends en ce moment c'est difficile. Des aigrefins à légion d'honneur. Des bistrots à nappe à carreaux (chez Sautet, on ne bouffe ni ne picore : on mange, on fume, et on boit sec), avec patron copain, qui passe toujours en priorité au héros le téléphone au bout du comptoir (mais comment faisait-on avant les portables ?) Et des chantiers, une ribambelle de chantiers, avec des casques de chantiers, des grues de chantiers, des visites de clients étrangers, le décor naturel des trente glorieuses quand la promotion immobilière était le coeur de toute épopée (à noter la valeur annonciatrice de l'incroyable final de Mado, toute la troupe embourbée dans la nuit dans la boue d'un chantier labyrinthique).

Et puis, dans le décor, évidemment, des femmes. Tendres, langoureuses, attentionnées, filmées avec amour forcément, baignées d'une douce lumière nocturne par les réverbères de Paris, tandis que d'une main sûre, Piccoli conduit la Jaguar. Un peu dépressives, un peu alcooliques, un peu paumées, chatouillées déjà par le vent coquin de la libération de la femme, mais tellement attendries-attendrissantes dans la contemplation du mâle blanc quinquagénaire, soleil du système, qui brille de ses derniers feux.

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