Les pravdas du live
Le matinaute
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chronique

Les pravdas du live

Rien. Pas un mot. Pas une image.

Plusieurs heures durant, les manifestants pour le mariage gay auront défilé à Paris dans l'ignorance générale des deux chaînes d'info continue diffusées sur la TNT, BFM et iTélé. Les chaînes étaient ailleurs, aux Sables d'Olonne, où le navigateur François Gabart allait arriver, il arrivait, il n'avait jamais été si près, voilà, il est là, on le voit, on le touche, voyez comme il est beau, comme il est jeune, comme il est blond, comme il sourit, quel exploit, et vingt-neuf ans seulement, ah il sourit encore, et sa femme est là aussi, qu'elle est belle Henriette, et leur bébé de neuf mois, quelle fête mes amis, et tous ces braves gens qui l'acclament, quelle joie, quel bonheur innocent, pur, sans taches celui-là. Oh pardon. On ne l'a pas dit.

Ils ne l'ont pas dit, mais leur silence le pensait si fort. Leur silence le criait. C'est le problème avec le silence. Il crie des choses que l'on entend très fort, même s'il ne dit rien. Comme quoi il vaut toujours mieux parler. Evidemment, ils démentiront. Ils plaideront l'exploit historique, les 78 jours, le record battu. Ils expliqueront qu'il faut choisir. Et pourtant, le 13 janvier, pour les autres, vous aviez tenu l'antenne toute l'après-midi ? On l'avait vue virevolter, la Barjot, devant vos caméras. Vous aviez fait télé Barjot. Alors ? Alors, puisque vos cars-régie se trouvaient sur le parcours, puisque vos invités étaient réservés (et ont été décommandés au dernier moment), pourquoi n'avoir pas partagé votre antenne ?

A quelque chose malheur est bon: les marcheurs de dimanche, ceux qui les soutiennent, ceux qui, en province, espéraient vivre la manif en direct, auront touché du doigt le malheur de n'être pas représentés par le système de représentation qui semble prendre le pas sur tous les autres: le direct. Le direct interminable, le direct creux, le direct en boucle. Comme tout le monde, ils revendiquaient le droit au direct. Raté. Ils se seront vengés sur Twitter, qui résonnait d'imprécations et de blagues contre les chaînes continues.

Leur non-représentation, ils avaient pu l'oublier, ces derniers temps. Ils avaient commencé à rattraper le temps perdu. On avait commencé à les voir, à les entendre, et plutôt généreusement. Et vlan. En une après-midi, retour à la case mitard. Tu n'existes pas, tu n'as jamais existé, je ne te vois pas, je ne t'ai jamais vu. Cette humiliation-là, que subissent à longueur d'année toutes les minorités, cette négation, ils l'auront touchée du doigt, en direct. Parmi eux, parmi ceux qui marchaient dimanche pour le mariage pour tous et apprenaient peut-être, par la rumeur de la manif, qu'ils n'existaient pas aux yeux de BFM et iTélé, il en est peut-être quelques centaines, quelques milliers, qui croyaient encore que l'image télévisée reflète le réel, qui se disaient que ce n'est pas si grave que nous le répétons ici, et qui auront touché du doigt comment les Pravdas audiovisuelles privées écrasent ce qu'elles ne veulent pas voir, l'écrasent sous les hurlements de triomphe, sous le bavardage scintillant, sous les célébrations factices, sous les boucles creuses. Ces hurlements, ce bavardage, ces célébrations, cette télé-confetti, se seront marqués en eux au fer rouge, et la trace en restera toujours.

(Information partagée: un exemple)

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