Les masques de ma belle-soeur et la casquette du préfet
chronique

Les masques de ma belle-soeur et la casquette du préfet

Une qui a eu du flair, c'est ma belle-soeur. Le confinement resserrant les liens, j'ai profité du week-end pour faire un tour Whatsapp de mes proches. Hier, donc, ma belle-soeur me montre un lot d'une dizaine de masques chirurgicaux. "Mais tu les as achetés quand ?" "En janvier, quand j'ai lu qu'il y avait un virus en Chine". "En janvier ?" C'est ma belle-soeur. Elle n'est pas ministre. Elle n'est pas directrice générale de la Santé. Elle n'est pas Sibeth Ndiaye. Elle ne sait pas forcément comment les mettre et les enlever, ses masques. Mais en janvier, elle a acheté des masques. Que faisait le gouvernement, pendant ce temps, alors que Agnès Buzyn, à l'en croire, avertissait ses collègues que c'était grave, et que les Municipales ne pourraient pas se tenir ? Ma belle-soeur est une héroïne.

Le plus grave, ce n'est pas que le gouvernement n'ait pas été aussi réactif que ma belle-soeur. Le plus grave, c'est qu'il ait tenté, qu'il tente encore, de masquer son imprévoyance derrière de dérisoires arguties. Les tests, ont répété Salomon, Véran, et les autres, ça ne sert à rien. Les masques, a répété Sibeth Ndiaye, vous ne sauriez pas les mettre. Pourquoi persister dans cette vieille habitude de nous prendre pour des billes ? En vérité, nous aimerions faire confiance. On n'a jamais eu tant besoin de sources de confiance. C'est ce que dit par exemple le nouveau gourou mondial, Yuval Noah Harari, dans un intéressant texte. Mais la confiance ne se décrète pas. Elle se mérite. Reconnaissez votre imprévoyance ! Elle n'est pas un crime.

Mais voilà. Olivier Véran n'est pas dans l'introspection, confie-t-il fièrement au Monde. Dans sa situation, on le comprend. Mais c'est dommage. Cela signifierait qu'il a été contaminé par le virus de l'action immédiate. Comme disait Confucius, si on ne médite pas sur ses erreurs, on les perpétue. (Je blague, pour Confucius. C'est pour voir si vous suivez).

A propos de héros, beau texte de Nicolas Delesalle, grand reporter à Paris-Match, sur Jean-Jacques Razafindranazy, médecin urgentiste qui avait repris du service, mort à 68 ans du Covid-19. Delesalle est allé sonner au pavillon familial. La famille, après réflexion, a refusé de parler à Match, pour ne pas héroïser le médecin. Mais pourquoi Delesalle publie-t-il ce texte sur la plateforme Medium ? Match l'a refusé ? Ce reportage, Paris-Match le publiera-t-il ? Est-il sacrilège de rappeler que tous les héros ne souhaitent pas être héroïsés ?

L'héroïsation  par les imprévoyants du pouvoir des "héros en blouse blanche", de ceux qui se battent en "première ligne", n'est pas seulement exaspérante. Elle est toxique. Un héros, ça meurt en silence. Un héros, ça ne réclame pas des masques et des tests. Un héros, ça ne réclame pas quelque chose d'aussi sale que des sous. Donnez-leur des sous, tout de suite ! Pourquoi cette disposition n'était-elle pas contenue dans la loi d'état d'urgence sanitaire ?

Des sous ! Il est urgent de rêver sur l'après. Il est agréable de rêver que touché par la grâce, le pouvoir augmentera les infirmières et les caissières, et qu'il rouvrira des lits d'hôpitaux. Mais rêver ne suffit pas. Les lendemains d'épidémie sont rarement radieux.
 Comme dit Mathilde Larrère dans notre émission, l'après, ça se prépare, par la lutte, en imposant des rapports de force.

D'autant que l'après se prépare déjà. Je ne dis pas qu'ON le prépare. Mais la dynamique des choses le prépare. Cette docilité, cette soumission aux consignes de sécurité, qu'on tente de nous inculquer, à coups de vidéos, comme celles de l'ineffable préfet Lallement, et de ses drones. Tout cela prépare, dessine, construit, un après possible. "Beaucoup de mesures d'urgence deviendront des règles de vie", note encore Harari. Vieille connaissance, le provisoire qui dure. Je n'ai pas de parade imparable. Juste celle-ci : "On vous voit", comme on dit sur Twitter.

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