Les décimales, ces importunes
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Les décimales, ces importunes

Ouf ! On vient enfin de trouver le coupable.

Qui est responsable de la dégradation du débat politique ? Du médiocre niveau de la campagne, passée à côté des grands enjeux économiques ? Voire, de la "montée des extrêmes" ? Stéphane Soumier, journaliste à BFM Business, a trouvé la réponse: les fact-checkeurs. La poignée de journalistes qui, dans la presse écrite, et sur les sites, vérifient les chiffres assénés par les politiques dans les débats. "Cette campagne a été celle d’une hystérie des contrôles, se désole notre confrère. Des batteries de contrôleurs sur le net pour sanctionner en temps réel les erreurs factuelles des puissants". Quelle importance, que les chiffres soient exacts ou approximatifs ?, demande Soumier. Débattons donc des propositions, du fond. "L’économie n’est jamais statique, elle est dynamique, et la dynamique ne se «factcheck» pas, elle dépend de la volonté des hommes".

L'argumentaire mérite d'être examiné (je n'ose pas dire fact-checké). D'abord, à mon sens, contrairement à ce que redoute Soumier, les "fact-checkeurs" sont loin d'avoir "pris le pouvoir". Le pouvoir médiatique, jusqu'à preuve du contraire, est encore incarné par le duo mutique Pujadas-Ferrari, à qui il fut interdit d'arbitrer entre les chiffres balancés à tort et à travers par les deux candidats, tandis que sur la Toile, oui, s'échinaient quelques "fact-checkeurs". Ils auront pris le pouvoir, les fact-checkeurs, le jour où ils transporteront leur strapontin sur le plateau du débat présidentiel, avec pouvoir de l'interrompre, pour expertiser en direct les projectiles chiffrés. On n'y est pas. Et un Guéant, par exemple, a pu persévérer pendant des semaines dans la citation de chiffres faux, avant de capituler devant les statisticiens de l'INSEE.

Soumier a pourtant le mérite (et l'honnêteté) d'exprimer tout haut ce que nombre de journalistes pensent tout bas. Chiffres vrais, chiffres faux, après tout quelle importance ? Cessons de nous embêter avec des décimales, ces importunes. Parlons théorie. Avançons des idées. Déployons, comme nous savons si bien le faire depuis la troisième République, des trésors d'éloquence. La presse généraliste française, comme toutes les presses latines, est une presse d'idées, pas de chiffres. Elle préfère les opinions aux faits. Elle n'entretient avec le réel que des rapports distants, un peu dédaigneux, un peu soupçonneux. Même si elle ne l'avouera jamais, elle préfère les chiffres opportuns aux chiffres justes. Elle préfèrera toujours s'empoigner sur les burqas, plutôt que de compter les burqas. Si elle a consenti au fact-checking quelques strapontins, sans pour autant inventer une appellation française équivalente, notons-le, c'est sous la pression du Web, qui faisait le boulot (comme quoi, la concurrence libre et non faussée peut avoir du bon). Combien de journalistes issus de formations scientifiques, en France, par rapport à leurs confrères issus de formations littéraires (et inutile de préciser que je fais partie de cette seconde catégorie) ? La curiosité est de voir cette première offensive anti-fact-checking portée par un journaliste de BFM Business, chaîne qui a par ailleurs donné à la France les graphes de François Lenglet, une des principales nouveautés de la campagne. C'est une de ces délicieuses contradictions qui font le charme des débats professionnels.

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