Le curé Legrand et l'imam Seux, un sacrilège involontaire
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Le curé Legrand et l'imam Seux, un sacrilège involontaire

Une voix. Une voix douce, venue d'ailleurs, qui impose le silence dans le studio

, et suspend immédiatement les cuillers sur les tasses de café. La voix défend les jeunes. Les jeunes écrasés par la peur du lendemain, les jeunes méprisés par les adultes. La voix fustige "un refus d’accepter qu’une jeunesse, jugée inapte à la pensée, soit capable de faire une révolution". "Chaque époque, poursuit la voix, essaie d'inventer une manière d'assassiner sa jeunesse". On pense qu'on a mal entendu. On se répète la phrase dans sa tête, plusieurs fois. On se demande qui peut avoir le culot de fracasser le ronron d'une matinale radio, avec une si implacable douceur.

On a mal compris son nom, quand Léa Salamé l'a présenté. Un nom barbare, venu d'ailleurs, imprononçable. Wajdi Mouawad. Auteur, comédien, dramaturge, le Libano-québecois (né au Liban, exilé au Québec) vient d'être nommé directeur du théâtre de La Colline. Et Salamé a eu la bonne idée d'interrompre le ballet matinal des bloqueurs et des anti-bloqueurs, pour regarder à côté. Justement, la colère sociale, qu'en pense-t-il ? "Si je regarde à moyen et long terme, je suis face à une des plus belles sociétés qu'il m’a été donné de voir, une des plus libres, où la parole, dans la manière qu’elle a de s’exprimer, est d’une force et d’une tension que, dans mon pays, on n’a jamais réussi à atteindre. Mais en France, à court terme il y a quelque chose qui relève de une détestation de soi". Autrement dit, il est plus sensible à la fracture des générations qu'à la lutte des classes. C'est sa liberté.

Mais il n'a pas fini. Voilà qu'il parle maintenant de religion, et de morale. "On est passé d’une société « homélisée » à une société « chroniquisée », qui tourne autour des chroniques. Mais une chronique qu’est-ce que c’est si ce n’est une homélie déguisée ?" Instant d'hébétude, encore. Il parle bien d'homélies déguisées, dans ce studio où viennent d'homéliser successivement Thomas Legrand et Dominique Seux ? Fou-rire nerveux de Salamé, qui trouve immédiatement le rebond. "Le curé Thomas Legrand" pouffe-t-elle. "L'imam Dominique Seux". Mouawad, gagné par le même rire-surprise, comme s'il venait de prendre conscience qu'il a commis une sorte de sacrilège involontaire : "on pourrait presque dire ça". Et, redevenant sérieux : "Ils croient qu'ils pensent, mais ne savent pas qu'ils croient. Il y a une sorte de morale inconsciente d’autant plus vénéneuse qu’elle se pense être dégagée de la morale". Stupeur, rire et colère mêlés, la tragicomédie aura duré à peine quelques secondes. Manifestement, Mouawad ne sait pas exactement où il se trouve, au coeur du vénéneux. Mais peu importe. Nous, on le sait.  "Vous venez de donner un grand entretien à la revue Transfuge, encore en vente", conclut Salamé. On a envie de s'y précipiter.


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