Hiroshima, ma dépression
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Hiroshima, ma dépression

Ils ne se sont vraisemblablement jamais rencontrés.

Sauf, ce mercredi, en page 25 du Monde, celle des nécrologies. Ils se côtoient, dans une persistante inégalité. Deux colonnes pour Tsutomu, trois colonnes pour Ruth. Ils sont nés à un an d'intervalle : Tsutomu le 16 mars 1916, Ruth le 2 août 1915. Et c'est la date de leur mort, qui aujourd'hui les rapproche. Tsutomu est mort le 4 janvier, Ruth le 30 décembre de l'an dernier, mais la page des nécrologies n'est pas pressée.

Leurs titres d'accession à la prestigieuse page des nécrologies du Monde sont pour le moins dissemblables. Ruth Lilly est "la dernière héritière du géant de l'industrie pharmaceutique Eli Lilly", labo auquel on doit notamment l'invention du Prozac, antidépresseur bien connnu. Tsutomu Yamaguchi est le seul Japonais "reconnu avoir été atomisé à deux reprises, à Hiroshima et à Nagasaki". Ingénieur originaire de Nagasaki, Tsutomu se trouvait à Hiroshima, le 6 août 1945, à trois kilomètres de l'épicentre de la déflagration, quand le bombardier américain largua sa bombe. En dépit de ses blessures, il avait regagné Nagasaki trois jours plus tard, et rendait compte à son chef de sa mission à Hiroshima, quand la ville fut à son tour atomisée. "Rarement le sort se sera autant acharné sur un être" : ainsi commence, pertinemment l'article du Monde.

Tout au long de sa longue vie, Ruth Lilly, milliardaire philanthrope, aura distribué des centaines de millions de dollars. Elle avait notamment fait don de 100 millions de dollars à un magazine de poésie, Poetry, qui n'employait que quatre personnes, "et devint ainsi, du jour au lendemain, une des institutions culturelles les mieux dotées du pays" (ça fait rêver). Elle-même dépressive, sa vie changea après l'invention du Prozac, selon son médecin Jack Hall, cité par l'Indianapolis Star. Alors qu'elle se cloîtrait chez elle, Tsutomu s'exposait aux projecteurs, lançant un appel à l'ONU pour l'interdiction des armes nucléaires, rédigeant un livre, participant à un documentaire. Le matinaute fasciné par ces deux destins se gardera bien de tirer, de leur rapprochement posthume, quelque conclusion définitive sur l'argent, le bonheur, la résilience, ou l'industrie pharmaceutique américaine. Sauf celle-ci : Internet n'est peut-être pas l'inventeur du surf, délectable passe-temps que permettait, bien avant lui, la page nécro du Monde.

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