Florence Hartmann, au-délà de l'indignation
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Florence Hartmann, au-délà de l'indignation

Comme toujours, l'indignation journalistique unanime, après l'arrestation de Florence Hartmann

par des gardes du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (nous vous racontons les faits ici), donne envie d'y regarder de plus près. En défendant l'ex-journaliste du Monde, puis ex-porte-parole de la procureure du TPIY Carla Del Ponte, arrêtée la semaine dernière pour purger une condamnation à sept jours de prison, les journalistes indignés défendent-ils la liberté de la presse, ou un membre de leur corporation ?

Oui, pour autant qu'on maitrise bien tous les éléments du dossier, cette arrestation est choquante, et pas seulement en apparence. Que Florence Hartmann dorme, même sept nuits seulement, dans les mêmes cellules que les criminels de guerre qu'elle a passé sa vie à poursuivre, est insupportable. Qu'elle ait courageusement obéi à sa conscience, en -révélant ? confirmant ? critiquant ? les choses ne sont pas très claires à mes yeux- que son institution, le TPIY, avait passé un "deal" avec la Serbie, en acceptant de ne pas communiquer à une autre juridiction, la Cour Internationale de Justice, des pièces accablant le régime de Milosevic, en échange de leur transmission par le régime actuel, c'est indiscutable. Qu'elle mérite l'appellation de lanceuse d'alerte, c'est tout aussi évident, même si elle a publié son livre après avoir quitté son poste au TPIY.

Eolas, avocat-twittos bien connu, qui se dresse ce matin sur Twitter contre l'unanimité journalistique, rappelle que Hartmann a été condamnée en première instance et en appel, avec cinquante pages de motivations à chaque fois. Certes. Mais il ne rappelle pas que cette juridiction d'appel n'était...qu'une autre formation du même TPIY ! Les journalistes ne sont d'ailleurs pas seuls à s'en indigner. Le plaidoyer le plus efficace pour Hartmann, publié dans Le Monde en 2009, était notamment signé Louis Joinet, un des plus éminents spécialistes du carrefour des droits de l'homme et de la raison d'Etat, que nous avions reçu ici. "Je serai le juge, et je serai le juré, dit le rusé Fury. C'est moi qui rendrai le verdict, et je te condamnerai à mort" : cette caricature de Justice à la Lewis Caroll donne l'image d'une juridiction internationale se plaçant elle-même au-dessus de toutes les règles. Qui en sortira gagnant, sauf les criminels de guerre, et leurs défenseurs ?

Tout cela dit, l'ensemble de l'affaire pose une question, qui appelle sans doute des réponses moins simplistes que les cris d'indignation unanimes : jusqu'à quel point la Justice internationale doit-elle tenir un pays entier responsable des crimes d'un régime ? Fallait-il punir, pour les crimes du régime de Milosevic, la Serbie d'aujourd'hui, en ouvrant largement la porte aux demandes d'indemnisation des victimes bosniaques ? Et comment arbitrer, comme il semble que c'était la question, entre la nécessité de juger les responsables politiques des faits, et la condamnation du pays lui-même, c'est à dire de l'ensemble de ses actuels habitants, y compris ceux qui, lors des crimes, étaient enfants, ou n'étaient pas nés ? La question mérite mieux que des cris monocolores d'indignation.

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