Drucker, autoportrait en rescapé
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Drucker, autoportrait en rescapé

Il est étrange, à la longue, cet acharnement de Michel Drucker à se dépeindre en rescapé.

Voilà un gars parvenu au sommet de ce que peut produire la télévision française (longévité, immuabilité, connivence, auto-attendrissement). Voilà un homme qui passe la main dans le dos du Charles de Gaulle, et connaît la moindre coursive de Johnny Hallyday (et l'inverse). Et au fond, il ne s'attache plus, depuis des années, qu'à un seul tableau : son autoportrait en rescapé.

Rescapé du désastre scolaire (le fameux "qu'est-ce qu'on va faire de toi ?" paternel, devenu titre de best-seller), rescapé des mille accidents et traquenards qui auraient pu interrompre sa prodigieuse carrière, des basses attaques des journalistes qui se sont évertués à chercher la faille, mais aussi, apprenait-on mercredi soir en regardant sur France 2 "L'itinéraire d'un enfant de la télé" de Jean-François Kervéan (par ailleurs nègre du grand homme), quasi rescapé d'Auschwitz. Scène fondatrice du documentaire : Maman Drucker, enceinte de Michel, est arrêtée par la police allemande sur un quai de gare. Intervient Papa Le Lay (oui, le père de Patrick, celui du temps de cerveau disponible), qui retourne les flics allemands, en les entretenant, en allemand, sur Goethe et sur Schiller, jusqu'à ce qu'ils relâchent leur proie. Commentaire, sans rire, du documentaire : "La télé rôde sur cette naissance comme un destin. Une conversation culturelle lui a sauvé la vie."

Le pinceau de cette fresque, il ne le lâchera qu'avec le micro : au tout dernier instant. En attendant, il passe couche sur couche. Le dispositif du documentaire était d'ailleurs extrêmement révélateur sur la télévision française. On ne regardait pas seulement, comme en d'autres docs comparables, le Drucker d'aujourd'hui contemplant les grands moments télévisuels de sa biographie. On le voyait, le Drucker d'aujourd'hui, contempler sur l'écran un Drucker intermédiaire, lequel commentait lui-même les Riches Heures du Drucker primaire (Gainsbourg lançant à Whitney Houston "I want to fuck you", etc.). Dans ce prodigieux chantier de restauration picturale, se révélaient les contributions de générations entières de peintres de l'atelier Drucker à l'édification, avec l'argent de la redevance, de la grande oeuvre commune : le portrait jamais achevé de Michel Drucker. Se confirmait aussi ce que l'on sait être le but ultime de la télévision : son autocélébration.

L'acharnement de Michel Drucker à se dépeindre en rescapé est-il conscient ? On voit bien le bénéfice d'impunité qu'il peut espérer en retirer. Comme toute victime, le rescapé est intouchable. Comment lui reprocher la ribambelle de "merci" sirupeux qu'il décoche à la fin de chaque émission aux machinos et aux pédégés de la télé, quand ces "merci", explique-t-il, émanent de l'humble petit sang-mêlé à qui on a appris à raser les murs, et n'en revient pas d'avoir réchappé à tant de catastrophes qui auraient pu mettre en péril, outre la paix du monde, sa carrière ? Mais laissons-lui le bénéfice du doute, et de la sincérité. Ce qui ne retire rien à l'efficacité du mythe. Le discours de domination n'est jamais si efficace que lorsque, point aveugle à lui-même, il s'ignore discours de domination.

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