Bowie, une parenthèse enchantée
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chronique

Bowie, une parenthèse enchantée

J'ai derrière mon bureau, à portée de main, une pile de journaux jaunis

qui ont survécu à tous les déménagements. Ce sont les journaux des grandes occasions. Les "Unes historiques" comme on dit. Elections de présidents, morts célèbres (papes, Mandela), ou chéris (Aragon, Baudrillard), scandales retentissants (DSK), 11 Septembre 2001, 7 janvier 2015. Des Match, des Monde, des Libé, des Huma, des Charlie : ce sont des injetables, comme il y a des incunables. De vieux papiers qui murmurent encore les joies, les colères, les douleurs marquantes d'une vie à la charnière du siècle.

Pour la mort de David Bowie, j'ai retrouvé le chemin du kiosque, ce monument où l'on vend encore des journaux en papier. Envie de toucher du papier, avec David Bowie en couverture. Et d'abord Libé, bien sûr. Dans ces cas-là, rien à faire, c'est Libé, c'est une démesure à la Libé, que cherche la main. Sont-ils toujours capables d'oser balancer un coup de poing à chaque page ? Ont-ils conservé les vieux réflexes ?

C'est moins pour Bowie lui-même d'ailleurs, que la main souhaite toucher du papier, que pour l'envie soudaine d'entendre parler d'autre chose, de partager des émotions, de lire une langue dont on a perdu l'habitude, avec ce genre de phrases dont Libé a le secret, des phrases d'avant, des phrases de temps de paix, des phrases de luxe qui se déploient, n'en finissent pas de ne pas savoir où elles vont, sans autre souci que de tenter de cerner la beauté, pour mieux la célébrer. L'oeuvre entière, grandiose à tous égards, y compris dans sa folie tâtonnante, phrases hors normes qui repoussent toutes les limites, se cherche sans cesse de nouveaux appuis, qui explosent les double pages, s'accomplit dans sa furie transformiste au soleil noir de la folie, rebondissent sur la double page suivante, à la fois invoquée, jouée, révoquée, exorcisée, et de la mort qu'il contemple, explosent toutes les maquettes, en des mises en scène mi-sérieuses mi-bouffonnes,quand sur scène il se prend pour Hamlet, exploseraient le journal lui-même en feu d'artifice si on les laissait faire, en contemplant un crâne qu'il lèche et embrasse goulûment, dont il aspire l'horreur et le vide, et qui claquent comme autant de gifles à la gueule des jours ordinaires.

Et puis, au coeur du spécial Bowie, au détour d'une page de ce voyage dans le temps, voici soudain la Une ordinaire du Libé ordinaire, enchâssé dans le Libé magique. Avec du Hollande ordinaire, du Mélenchon ordinaire, et son poids de djihadistes ordinaires, de kippas ordinaires. Ah, il était là lui aussi ? Il nous attendait ? Mais oui, tu avais bien cru nous échapper, pour une fois. Mais non. On est là, la sarabande de gnomes du terrifiant réel, on ne se laissera pas oublier. Pour une fois pourtant, on s'autorise à le zapper, en osant à peine se formuler à soi-même cette mauvaise pensée si délicieuse : ce serait tellement bien, si David Bowie mourait tous les jours.

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