Pap, ou la malédiction de l'intelligence
La petite cour
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chronique

Pap, ou la malédiction de l'intelligence

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Ils déjeunent, goûtent, ou dînent tous les jours dans les palais des ministres ou de la télévision. Leur comportement exemplaire offre chaque jour de remarquables exemples de morale, dont chaque enfant devrait s'inspirer. La vie édifiante de "La petite cour" est illustrée par Vincent Mahé. Aujourd'hui, la triste histoire de Pap, ministre des professeurs, et très intelligent. Trop ?

Pap est très intelligent. Tout le monde est d’accord, à commencer par le président. Le président cherche toujours des personnes aussi intelligentes que lui, mais peine à en trouver. Il a donc eu l’idée d'offrir à Pap un travail à la mesure de son intelligence : ministre des professeurs. C’est un travail exigeant. Les professeurs sont intelligents pour la plupart, eux aussi, mais volontiers critiques, voire réfractaires au changement. 

À peine était-il nommé, que certains ont critiqué Pap pour avoir scolarisé ses propres enfants dans une école très chère, mais plus belle et plus performante que les écoles ordinaires. Le président a pensé qu’avec son intelligence, Pap saurait répondre à ces critiques. Et puis Pap a énormément milité contre la discrimination qui frappe les personnes de couleur. Il a donc beaucoup d’ennemis racistes. Le président, avec son intelligence, a pensé que les ennemis des racistes deviendraient automatiquement les amis de Pap.

La tâche de Pap est simple : elle consiste à répondre à des questions compliquées, dans les palais de la télévision, à chaque fois que le président annonce des mesures simples et énergiques. En faisant croire que cette réponse est intelligente, puisque proférée par un ministre intelligent.

Un peu de contexte

Ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye a été plusieurs fois critiqué depuis sa nomination, pour son absence de réponses précises à des questions portant sur plusieurs mesures annoncées par le chef de l'État dans le contexte de la réforme des retraites : revalorisation du salaire des professeurs, mesure pour le remplacement rapide des professeurs absents, et réforme des lycées professionnels.

Par exemple, le président promet que tous les professeurs absents seront très rapidement remplacés. On demande à Pap comment cela va s'organiser concrètement en cas d'absence d'un professeur d'anglais. Eh bien, répond Pap, il pourra être remplacé par un professeur de mathématiques, qui donnera un cours de mathématiques. "Mais comment le cours d'anglais sera-t-il rattrapé?", insistent gentiment les journalistes. Très simple, quand le professeur de mathématique sera absent à son tour, il sera remplacé par le professeur d'anglais. Pour Pap, cela ne pose pas de problème. Quand on est intelligent, on peut facilement s'adapter. 

Le dernier devoir de Pap a porté sur le sujet des lycées pour les futurs travailleurs.  Le président s'intéresse beaucoup à eux, parfaitement conscient qu'on a aussi besoin de personnes qui ont des capacités manuelles, et qu'il est important qu'elles se sentent aimées, surtout que ces personnes vont devoir travailler plus longtemps avec la réforme du président. Pap se trouvait auprès du président quand ce dernier a inventé des formules intelligentes comme "zéro décrocheur", ou "le lycée près de chez soi peut mener loin" dans un lycée pour futurs travailleurs.  

À travers les bruits de casseroles, Pap a bien compris que les élèves devraient désormais apprendre davantage à isoler les fenêtres des logements ou à nettoyer des centrales nucléaires, plutôt que des travaux de bureau inutiles

On a demandé à Pap où il trouverait concrètement les professeurs de nettoyage de centrales nucléaires (Pap déteste de plus en plus le mot "concrètement"). Il ne savait pas quoi répondre : aucun ministre ni aucun journaliste n'a jamais croisé un élève de ces lycées-là. Il a donc répondu qu'il irait chercher des vrais poseurs de fenêtres et de vrais nettoyeurs des centrales nucléaires pour apprendre ces métiers aux élèves, une fois par semaine.  Quant aux professeurs de matières inutiles, ils serviront à orienter les élèves sur les matières utiles. C'est pourtant simple.

Une seule fois, l'intelligence de Pap a trouvé ses limites. Il a dû aussi répondre à des questions sur le salaire des professeurs. Ils ne sont pas très bien payés. C’est normal : ils ont beaucoup de vacances, et leur mercredi libre. Même s'ils sont aussi intelligents que lui, ils travaillent beaucoup moins, par exemple, que Bernard, l'homme le plus riche du monde, qui est donc payé 373 498 fois plus qu’un professeur (on n'est pas obligé de retenir le chiffre exact, c’est un ordre de grandeur).

Le président a promis aux professeurs une augmentation de leur salaire s'ils travaillent un peu plus : ils pourraient compter l’augmentation sur les doigts de leurs deux mains. Des personnes fortes en calcul ont recompté : les doigts d’une seule main suffisent. Le président a pensé que Pap saurait trouver des arguments intelligents pour que les professeurs ne demandent pas d’augmentations trop fortes. Mais non. Plutôt littéraire, Pap n’a jamais été très fort en mathématique. D'ailleurs, il déteste le mot "exactement".

Très intelligent, Pap apparait maintenant un peu trop intelligent aux yeux de certains, qui ne savent que taper sur des casseroles. L'autre semaine, des personnes avec des casseroles l’ont empêché de descendre d’un train. Il est resté silencieux, car il n’a plus le droit, hélas, d'exprimer son intelligence sur des sujets qui ne le regardent pas. Par exemple avant, Pap défendait les personnes de couleur contre les discriminations de la police. Il n’a plus le droit, car c’est maintenant la police du président qui le protège. Tout le monde commence à se dire qu’il est peut-être trop intelligent pour son travail.

Moralité
Pour traduire la pensée du président, il est nécessaire d'être intelligent, mais pas trop. Il faut se mettre à la portée des gens moins intelligents. Pap, qui est très intelligent, va-t-il finir par le comprendre ? 


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