Anne et lui
Le matinaute
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chronique

Anne et lui

Moi qui vous parle, j'ai rencontré François Mitterrand une fois dans ma vie.

En tête à tête, je veux dire. Je préparais mon premier livre, une enquête sur la vie quotidienne de l'élite politique, et comment cette vie protégée la sépare du commun des citoyens (le sujet n'a apparemment pas tellement évolué).

Après des mois de harcèlement des entourages, d'intrigues, de montagnes russes d'espoir et de désespoir, je finis par décrocher "le" rendez-vous dans son bureau de l'Elysée. Je commence à poser mes questions sur les huissiers, les motards, le barrage des entourages, ou ses promenades incognito dans Paris. Mais je n'obtiens en réponse que des monosyllabes butés. Manifestement, il guette le piège. J'étais tellement tétanisé qu'à l'issue de l'entretien je n'ai, au sens propre, pas pu marcher. J'ai dû attendre une longue minute que le sang me revienne dans les jambes. C'est long, une minute entière les jambes coupées dans le bureau présidentiel, en compagnie d'un impassible qui fait semblant de ne s'apercevoir de rien. J'ignore encore pourquoi il m'avait finalement reçu.

Les raisons de ce malaise, le grand naïf que j'étais les a comprises un peu plus tard, quand furent révélés, notamment par Edwy Plenel (nous travaillions alors dans le même journal) les multiples scandales liés aux gendarmes de l'Elysée -les Irlandais de Vincennes, les écoutes téléphoniques secrètes- et surtout le motif ultime de tout cela : protéger sa seconde vie, avec Anne et Mazarine Pingeot.

Et voici aujourd'hui que resurgit Anne, ou plus exactement ce "Journal pour Anne", proprement inimaginable, que publie Gallimard, dont L'Obs et Le Monde se disputent les bonnes feuilles. 1200 lettres de François à Anne, des années 60 à la fin de sa vie. 1200 lettres, dont la promesse est tout entière dans cette citation inouïe :

Encore une tranche de Mitterrand, ce filon inépuisable ? Oui. Mais la dernière pièce du puzzle, sans doute. La confirmation ultime, inespérée, universelle, de la nature de l'homme que laissaient deviner les milliers de petits cailloux : en vrac, un bourgeois de droite méprisant tranquillement la gauche politique, amoureux de sa liberté, et pratiquant en parfaite conscience la protection par l'auto-emmurement. Donc, cachée tout au fond de la coquille de l'escargot, il y avait une vérité ultime, et une confidente-vestale, chargée du sacrifice de la recueillir.

Comment ne pas être saisi de vertige à la pensée de cette existence claquemurée jusqu'au dernier souffle ? Pour tous, amis, ennemis, rivaux, puissances étrangères, cet être humain par tous épié, scruté, objet de toutes les supputations, sujet de toutes les biographies, resta sa vie entière une énigme. Pour tous, sauf pour une seule, à qui le chef d'Etat parlait chaque soir couchers de soleil et petits oiseaux. A quoi furent employés tous les sales moyens de l'Etat ? A protéger un si joli secret d'éternels adolescents. Comme tous les confrères découvrant ces textes, je cherche le bon adjectif. Il ne me vient que romanesque, mais c'est tellement au dessous de la réalité.

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