Siné, l'Irrécupérable
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Siné, l'Irrécupérable

La vérité, c'est que Maurice Sinet, dit Siné, n'a jamais vraiment existé.

En tous cas, Pujadas n'en a jamais entendu parler. Comme tous les soirs, ce jeudi soir, il égrène ses titres. Les Chinois rachètent des terres en France. Mein Kampf fait un malheur en Inde. Pas de Siné. "Mais d'abord, une image", dit-il. C'était donc ça. Il va faire avec la mort de Siné ce qu'on appelle "une fausse ouverture". Il nous a bien eus. Ah ah ah. On a failli marcher. Mais non. "Cette image de l'ordre russe qui règne à Palmyre". Ordre russe, tout de suite vous pensez à un défilé militaire, à des chars, à Prague 68. Mais non. L'image de "l'ordre russe", c'est celle d'un concert symphonique à Palmyre, dans les ruines, par l'orchestre de Saint Petersbourg, pour marquer la défaite de Daech. Ce concert, il faut nous le montrer comme un coup tordu poutinien, un piège de propagande. Passons.

Pas de Siné, donc. C'est donc que Siné n'a jamais existé. On a rêvé, nous qui avons encore dans la rétine ses généraux, ses CRS, ses curés, ses bonnes soeurs, ses papes, ses rabbins, et ses chats. On a rêvé, nous qui avons aimé en lui, avec Cabu, avec Wolinski, un de ces dessinateurs qui ont imposé sur un demi-siècle leur trait souverain, sans réplique. Ça doit faire 70 ans qu'on rêve, depuis la guerre d'Algérie, depuis Mai 68. La belle chronique qu'aurait faite Siné, de son lit d'hopital, de sa belle écriture si régulière jusqu'au dernier instant, s'il avait pu voir Pujadas, le soir de sa mort, faire semblant de regarder ailleurs.

Pourtant, il a bien grandi en France, Pujadas. Il les a donc dans l'oeil, comme nous tous, les généraux, les bonnes soeurs et les chats de Siné. Dans la journée, il a bien écouté la radio. Et pourtant rien. Les Chinois, Mein Kampf, tous sujets qui pouvaient attendre le lendemain. Alors quoi ? Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Alors l'affaire, pardi. La fameuse affaire. Cette étiquette infâmante d'antisémitisme, qui lui fut collée sur le front par Val, et tous les relais possibles et imaginables du sarkozysme, en 2008, lors de son licenciement de Charlie Hebdo. Tout ça parce qu'il s'était payé le fils Sarkozy, parmi toutes ses autres victimes. Je ne vous la résume pas, l'affaire. C'est irrésumable, mais si vous avez le courage, tout le dossier est là.

On a, ici, sur ce site, une petite histoire avec Siné. D'abord, l'affaire fut, tout l'été 2008, notre première "affaire", une de celles qu'on doit suivre heure par heure, minute par minute, avec pétitions, attaques, soutiens. A la rentrée, Siné était sur le plateau, émission qui me valut par la suite de m'entendre hurler au téléphone par Val : "désormais, vous avez en moi un ennemi personnel". Deux ans plus tard, il revenait causer humour avec l'ami Porte (qui devait être viré de France Inter par le même Val deux mois plus tard). Et enfin, il recevait chez lui Maja Neskovic, pour lui expliquer dans le détail comment il s'informait sur l'empalage des chasseurs, les minijupes au Sri Lanka, et autres sujets de moindre importance.

Mais peu importe, Siné n'a jamais vraiment existé. Jusque dans la mort, il aura été le sale petit caillou dans leurs belles chaussures, l'Irrécupérable. Dans sa nécro (magnifique numéro hommage, courez l'acheter), Libé raconte : "Jean Genet, lui a écrit un jour : «Mon cher Bob, vous me ressemblez à bien des égards : vous et moi n’aurons jamais la Légion d’honneur ! Prévert peut-être… Brassens aussi… Sartre sûrement… Mais nous pas !» On ne va pas pleurer. Ce silence officiel, de Hollande à Pujadas en passant par le ministère de la Culture, c'est sa plus belle médaille.

Mise à jour, 9 h 30 : on me signale que Pujadas a consacré à la mort de Siné vingt secondes à la fin du journal. Dont acte.

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