Seconde chance ou suspension à vie pour les dopés ? (Lemonde.fr)
Au sommet du podium des sanctions les plus sévères, la marche de la suspension à vie semble encore trop haute pour l'Agence mondiale antidopage. Pierre-Jean Vazel apporte donc de l'eau au moulin de ses partisans, avec cet argument: les effets du dopage durent probablement bien au-delà de la fin des suspensions. "L'amélioration de l'efficacité des propriétés mécaniques des tendons, la conversion de fibres musculaires lentes ou intermédiaires en fibres rapides, l'augmentation de la capacité cardio-pulmonaire ou de la densité osseuse dureraient au-delà des temps de suspension, et certains effets seraient même irréversibles.", explique le chroniqueur. |
Pour l'heure, rien de tout cela n'a été prouvé. Mais le "passeport biologique", mis en place l'an dernier, doit permettre de tracer ces changements physiologiques des compétiteurs, pour détecter "les effets d'un éventuel dopage sanguin (exemple EPO) ou hormonal (testostérone)". Autre progrès, les nouvelles technologie de la lutte anti-dopage ont été utilisées pour retester des échantillons recueillis lors des JO d'Athènes, en 2004. Les résultats seront connus d'ici peu et selon Pierre-Jean Vazel, "cinq seraient positifs, ce qui déclencherait des suspensions rétroactives avec annulation des résultats et éventuellement restitution de médailles."
Mais les quelques progrès de la lutte anti-dopage sont fragilisés par l'évolution des pratiques de dopage elles-mêmes. Ainsi, "le fait récent que les spécialistes de vitesse et d'endurance utilisent les mêmes produits ne facilite pas la tâche des contrôleurs et analystes pour cibler les recherches." En effet, les sprinteurs de 100 ou 200 mètres trouvent un intérêt à améliorer des capacités qui sont en principe utiles aux fondeurs ou aux cyclistes. Le gain d'endurance leur permet de multiplier la charge d'entraînement qu'ils supportent tout au long de l'année, et d'enchaîner les courses beaucoup plus facilement. Vazel raconte que lui et d'autres entraîneurs ont découvert que "certains groupes d'entraînement effectuaient le triple du kilométrage qu['ils dédiaient] à l'entraînement aérobie". A celà il faut ajouter l'activité incessante des laboratoires secrets pour trouver, dans la littérature pharmaceutique, des produits susceptibles d'améliorer les performances des sportifs, alors qu'ils n'ont fait l'objet d'aucun test sanitaire ni d'aucune utilisation commerciale.
En attendant que d'éventuels résultats permettent de reconsidérer les charmes de la suspension à vie, ce sont les tenants de la seconde chance qui tiennent la corde dans la lutte anti-dopage. Les peines infligées sont "à géométrie variable selon les sports et la gravité des faits reprochés", et s'échelonnent du simple avertissement public à l'exclusion définitive, pour une minorité de concernés. Certes, le CIO souhaite revoir l'échelle des sanctions pour appliquer une suspension de quatre ans à un plus grand nombre de cas. Mais en l'absence de preuves scientifiques des effets à long terme du dopage, Pierre-Jean Vazel constate, amer, que "les athlètes à qui une seconde chance a été donnée ont su la saisir, puisqu'ils représentent à ce jour 12 % des médaillés à Londres." C'est le cas par exemple de Justin Gatlin, médaille de bronze du 100 m masculin après une suspension de quatre ans, de Yohan Blake, qui a décroché l'argent sur la même discipline après une suspension de trois mois, ou de la Britannique Christine Oruhuogu, vice-championne olympique du 800 m.
"Mais pour avoir les résultats définitifs, rendez-vous en 2020 après la période de huit ans au-delà de laquelle on ne peut plus réécrire l'histoire", conclut ironiquement Vazel.
Autant dire que les commentateurs (français, par exemple) peuvent louer les exploits de nos sportifs l'esprit tranquille.
(Par Antoine Machut)
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