Retraites : "Ouest-France" du côté du gouvernement ?
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Retraites : "Ouest-France" du côté du gouvernement ?

La direction du quotidien régional breton pèse-t-elle en faveur de la macronie dans la couverture du projet de réforme des retraites ? Le principal syndicat du journal estime qu'elle penche "du côté des partisans du recul de l’âge légal", exemples à l'appui. La direction a répondu via un communiqué interne défendant ses choix éditoriaux.

Quelques jours avant la mobilisation contre le projet de réforme des retraites, les éditions d'Ouest-France du samedi 14 janvier annoncent en Une : "Six lecteurs face au ministre" – en l'occurrence celui du Travail, Olivier Dussopt. Les pages 4 et 5 du journal sont consacrées à cet entretien, notamment sous les plumes du rédacteur en chef adjoint du service France et du directeur de la rédaction parisienne du quotidien. 

Outre l'entretien lui-même, la double page propose aussi "les coulisses de la rencontre" (le lustre du ministère tinte quand on marche au-dessus), l'avis des lecteurs sur la rencontre (le ministre "sait écouter et recevoir", il est "courageux", mais aussi "très simple et très accessible", et a "apporté des réponses précises"). Ainsi qu'un portrait du ministre ("gros bosseur" avec une "origine très modeste" et une "connaissance fine des dossiers" qui veut avant tout "servir l'intérêt général"). Et une analyse du parcours de la loi devant les parlementaires ("L'accord conclu entre Les Républicains et la majorité présidentielle fait que la loi devrait être définitivement adoptée", se termine-t-il). Enfin, la double page comprend un article expliquant que "tous les futurs retraités n'atteindront pas" les 1 200 euros de pension minimale promis par le gouvernement. 

"Tout blocage d'entreprises ou du pays serait irresponsable"

Dans cette édition du 14 janvier, ces articles dans l'ensemble flatteurs pour le ministre et la réforme qu'il porte ne sont pas les seuls à venir appuyer l'action du gouvernement : dans son éditorial de Une ce jour-là, Jeanne-Emmanuelle Hutin, directrice de la recherche éditoriale d'Ouest-France (et surtout petite-fille du fondateur du journal), appelle à "un effort convergent dans un dialogue respectueux tournant le dos aux égoïsmes et aux peurs agitées par les démagogues". Puis reprend à son compte le récit gouvernemental en affirmant que la réforme des retraites "n'échappe pas à la nécessité de mettre à jour un système que l'on veut sauvegarder". Et enfonce le clou : "Tout blocage d'entreprises ou du pays serait irresponsable", comme "de créer une situation propice à la violence en soufflant sur les braises des inquiétudes". Cette héritière de la presse bretonne semble donc sensiblement en phase avec son homologue de l'autre titre régional breton : l'éditorialiste Hubert Coudurier (petit-fils du fondateur du Télégramme) enjoignait à la réforme le 12 janvier.

Selon un journaliste de la rédaction joint par ASI sous condition d'anonymat, cet énième éditorial de la petite-fille du fondateur a agacé bien des journalistes amenés à couvrir les manifestations quelques jours plus tard. "La couverture rédactionnelle est plutôt équilibrée mais on sent bien que, comme toujours, les éditorialistes sont partisans de la réforme, c'est habituel… le problème, c'est que la rédaction est embringuée dans le combat de la direction générale, analyse-t-il. Des collègues couvrent les manifestations, et se retrouvent étiquetés comme travaillant dans un journal pro-réforme. La double page et l'éditorial, ça faisait beaucoup pour un seul journal."

"La direction met […] le journal au service du gouvernement"

Cette couverture a d'ailleurs provoqué une réaction du principal syndicat de la rédaction du quotidien. "La direction met, sans retenue, le journal au service du gouvernement pour «vendre» sa réforme des retraites aux Français qui, dans leur grande majorité, n'en veulent pas", écrit le SNJ d'Ouest-France dans un tract du 18 janvier. Il y dénonce la double page ministérielle, "véritable opération de communication au service du ministre du Travail" dans laquelle "dix lignes sont accordées aux opposants qui ne manquent pourtant pas d'arguments pour démonter ce projet de loi injuste et injustifié". Sans oublier l'éditorial de "la directrice de la recherche éditoriale" Jeanne-Emmanuelle Hutin : elle "chercherait à faire fuir ceux qui nous lisent encore qu'elle ne s'y prendrait pas autrement" alors que "la baisse de la diffusion, particulièrement inquiétante, n'a pourtant pas besoin de ce genre de provocation". Et le SNJ de rappeler que "depuis des semaines, cette couverture qui reprend les «éléments de langage» du discours officiel, fait pencher Ouest-France du côté des partisans du recul de l'âge légal et de l'augmentation du nombre de trimestres à cotiser".

Un tract "pas acceptable"

Une semaine après le tract rageur du SNJ, les journalistes d'Ouest-France ont reçu un courriel signé "direction générale". Elle y assure ne pas être "au service du gouvernement"... et "pas non plus au service des organisations syndicales opposées à une réforme proposée par le gouvernement". La direction déplore ensuite que le SNJ "attaque le travail des journalistes" de la rédaction à "la veille des manifestations", ce qui "n'est pas acceptable" – elle sous-entend en effet que le SNJ met en danger le travail des journalistes couvrant les manifestations en dénonçant "le travail de ces mêmes journalistes". Concernant l'éditorial de Jeanne-Emmanuelle Hutin, la direction générale met en avant le fait que la petite-fille du fondateur affirmait vouloir "sauvegarder" le système par répartition en le réformant (ce qui est le principal élément de langage gouvernemental), ainsi que le souhait d'un "dialogue respectueux" (dont on a vu qu'il consistait surtout à ne pas faire grève et à ne rien bloquer). 

Surtout, la direction pointe que "le numéro daté de dimanche (15 janvier, ndlr) a donné la parole sur une pleine page au secrétaire général de la CFDT", puis que le 19 janvier, jour de la manifestation, "la parole était donnée sur 6 colonnes au secrétaire général de la CGT". Bref, le journal "ne s'est pas prononcé en faveur du texte proposé par le gouvernement" et "chacun a pu s'exprimer". Dans les mêmes conditions ? D'abord, l'édition du samedi est toujours plus vendue que celles du dimanche et du jeudi. Ensuite, aucune des deux interviews n'a été placée en Une, contrairement à celle du ministre Olivier Dussopt. Philippe Martinez, patron de la CGT, est seulement mentionné dans la légende d'une couverture qui annonce "un jeudi noir". Alors, une grande interview sur deux pages du ministre du Travail, bénéficiant d'une Une et d'un éditorial flatteurs, est-elle compensée par deux interviews absentes de la couverture d'Ouest-France ? Cet ensemble disparate "n'a pas l'effet de masse que peut représenter une double page dans le journal du samedi", pointe en connaisseur le journaliste de la rédaction joint par ASI

Sollicités par ASI, le SNJ d'Ouest-France n'a pas souhaité s'exprimer, et la rédaction en chef du quotidien n'a pas répondu.


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