Piège de cristal : la version londonienne
Brève Vidéo

Piège de cristal : la version londonienne

Un promoteur immobilier grand-breton vient de commettre, nous apprend le Guardian, une vidéo promotionnelle qui déclenche outre-Manche à la fois le rire et la colère.


Le promoteur immobilier Redrow, qui commercialise des appartements de luxe situés dans d'"iconiques immeubles" (car en ce moment telle est la mode outre-Channel, les tours de luxe y sont invariablement iconiques), a mis en ligne, la semaine dernière, une vidéo dont voici quelques extraits en texte et images :

« On dit que rien ne s’obtient facilement, et en y repensant il est difficile de ne pas être d’accord. »


« Le doute, le besoin d’être différent, de se définir, d’être plus qu’un individu, de rester fidèle à ses convictions. »


«Rendre l’impossible possible. Monter, toujours monter. »


« Oui, on dit que rien ne s’obtient facilement. Mais si c’était facile, ça ne serait pas aussi bon. Contempler la ville qui aurait pu vous engloutir, et dire: c’est moi qui ai fait ça. Avoir le monde à ses pieds. »


Et voici maintenant le clip dans son intégralité qui vaut son pesant de cheddar avec ses plans jamais immobiles, la caméra toujours en mouvement :


Nombreuses furent les réactions sur Twitter évoquant un cauchemar dystopique, une représentation du très immoral marché immobilier londonien. Lequel est ici incarné par un héros à la noix qui trimballe ses difficultés dans une ville mangée par une obscurité constellée de lumières floues, et qui affiche «des regards pensifs dignes d'une publicité pour après-rasage des années 1980 », écrit le Guardian. Mais il n'a pas la vie facile, non plus. Il se tape le métro tous les jours, et aussi l'ascenseur bondé dans lequel il fantasme sur des employées de bureau, il se dispute même avec sa nana qui doit le traiter de pignouf, de raté incapable de se payer une Rolex. Mais c'est un battant, faut pas croire, il finira par y arriver. Et le soir, quand il rentrera après une dure journée de labeur au cours de laquelle il aura échangé des millions de livres à la bourse de Londres, il la trouvera endormie tout là-haut, dans le luxueux penthouse ô combien iconique. Il la regardera en souriant puis, tel un fier Rastignac londonien, ira contempler la ville se tordant de désir à ses pieds.

Et voilà, c'est avec des films de cet acabit et des projets immobiliers comme ça qu'on détruit une ville, qu'on en fait une immense résidence privatisée où vous n'entrerez pas si vous n'avez pas le portefeuille très garni. Et si vous l'avez, vous serez bien tranquille, pas trop dérangé par les voisins car en fait ces appartements de luxe sont principalement achetés par des investisseurs extrêmement orientaux qui jamais n'y mettront les pieds puisqu'il ne s'agit que d'un placement, investir dans la pierre y'a pas mieux, tous les agents immobiliers vous le diront.

« Wow. Le style de vie American Psycho/Fight Club se vend maintenant tel un choix acceptable », raille une abonnée de Twitter. «C'est une présentation très claire de la nature psychotique du marché du logement à Londres », renchérit Sam Jacob, architecte de son état qui a réalisé une parodie de cette réclame en substituant à la sirupeuse voix off un monologue issu d'American Psycho. Extraits en texte et images (l'intégrale est par là) :

«Bien que je puisse cacher la froideur de mon regard, et qu'en me serrant la main, vous sentiez de la chair agripper la vôtre, et que vous pensiez sans doute que nous avons des styles de vie comparables, en fait je ne suis pas là. »


«Tout ce que j'ai en commun avec les incontrôlables et les fous, les pervers et les méchants, tous les dégâts que j'ai causés, et la complète indifférence que je ressens en en parlant, tout cela je l'ai dépassé. »


«Mais même si j'ai admis tout cela, il n'y a pas de catharsis. Mon châtiment m'échappe toujours. (…)Cette confession n'a servi à rien. »



Ce lundi matin, l'entreprise Redrow a retiré sa vidéo. «On a essayé, a déclaré l'un de ses responsables, de faire quelque chose d'un peu différent des films immobiliers traditionnels. Mais il est probable que nous nous soyons un peu plantés avec celui-là. »

Sauf qu'en vérité, précise le Guardian, ce film est loin d'être inédit ; tous ceux qui vantent des appartements de luxe dans des tours iconiques et londoniennes sont construits sur le même modèle comme dans le film ci-dessous, où là aussi la caméra est en perpétuel mouvement :


Avec à la fin la nana qui regarde la ville à ses pieds :


On se croirait dans Skyfall, le dernier James Bond en date :


« C'est toujours la même histoire, dit Jacob [l'architecte parodiste interviouvé par le Guardian]. L'individu séparé de la collectivité, le fait qui vous grimpez au-dessus de la ville, l'idée que la ville est une espèce de bête qui est là pour être battue ou vous battre. Cela signifie, évidemment, que vous êtes séparé de la société et de toutes les choses qui rendent une ville vraiment excitante. »

Eh oui, vous vivez seul dans une tour iconique, tous vos voisins sont à Shanghai ou Singapour. Seul, dans un nouveau Piège de cristal dont vous ne sortirez plus.

 

Traductions de Mrs Marple.


L'occasion de lire ma chronique intitulée Les machines à habiter et les machines à rouler.

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