Péan contre "le journalisme d'investigation"
Brève

Péan contre "le journalisme d'investigation"

Pierre Péan canarde le "journalisme d'investigation"... et Edwy Plenel.

En couverture de Médias, et au fil d'une longue interview dans le trimestriel édité par Reporters sans Frontières, l'enquêteur chevronné (dont nous avions tiré le portrait en sept livres ici) dit tout le mal qu'il pense des journalistes "gestionnaires de fuites", qui publient des extraits de procès-verbaux sortis tout droit des cabinet de juges d'instruction. Et en première ligne de ces cibles, il désigne Mediapart et son fondateur, l'ancien directeur du Monde, Edwy Plenel.

"La plupart de ceux qui sont devenus les grands journalistes d'investigation en France, à partir du début des années 1990, avaient au moins un point commun: ils n'“investiguaient” pas. Il s'agissait tout au plus d'une association occulte entre des journalistes et des juges, ou des journalistes et des flics. (…) Ils aggravaient, amplifiaient ce travers français de l'instruction à charge. La grande majorité de ceux que l'on appelait les grands journalistes d'investigation n'étaient en réalité que des gestionnaires de fuites. Ou, purement et simplement, des porte-parole, des attachés de cabinet des grands juges", balance Péan, qui s'en prend au Monde, époque Plenel. "Leurs pratiques ont été légitimées, crédibilisées par le grand journal, celui qu'on ne remet pas en cause, Le Monde. (…) On enquête de moins en moins. On publie en une des journaux les informations révélées par un syndicat, par un organisme… Autrement dit, le journaliste devient un enquêteur au second degré."

Mais le journaliste s'en prend aussi spécifiquement au rôle de Mediapart dans l'affaire Woerth-Bettencourt. Et c'est peu de dire qu'il ne lui plaît pas. Pour lui, le site "a certes provoqué un énorme buzz, comme on dit aujourd'hui, mettant le feu à la sphère médiatico-politique. Mais je ne vois pas en quoi il aurait contribué à la manifestation de la vérité". Plus grave pour Péan, "Mediapart prend de surcroît fait et cause dans un conflit familial en privilégiant la version d'une source payée par l'une des parties, sans prendre le temps de croiser les informations de celle-ci".

Difficile de comprendre cette attaque sans revenir sur les relations compliquées entre Péan et Plenel. Pierre Péan le reconnaît volontiers, leurs conceptions du journalisme "s'opposent complètement". Il indique qu'il se méfie de la volonté de transparence à tout crin, assure qu'il ne voit pas de problème dans le fait que les journalistes n'aient pas révélé que la fille cachée de François Mitterrand était logée en secret et surveillée aux frais de l'Etat ("Question de génération"), et affirme qu'il avait découvert l'affaire des Irlandais de Vincennes (bien rappelée sur le blog de l'ancien commissaire Georges Moréas) "plusieurs mois avant" Plenel, mais qu'il n'avait rien publié pour ne pas mettre en danger sa source.

Comme nous le rappelions ici, Péan et Plenel se sont livrés une guerre féroce lorsque l'enquêteur a publié, avec Philippe Cohen, La Face cachée du Monde en 2003, qui attaquait de front la direction Plenel-Colombani. Certains des chapitres du livre sont étranges, comme celui intitulé "Ils n'aiment pas la France", reprochant notamment au journal ses enquêtes sur la torture en Algérie, ou celui qui insinue qu'Edwy Plenel serait une taupe de la CIA.

D'ailleurs Laurent Mauduit, proche de Plenel et interrogé par Médias pour représenter Mediapart, ne se prive pas de rappeler que ce livre était "truffé d'erreurs, d'approximations et de contre-vérités" : "Quand il l'écrit, Pierre Péan se laisse aller à ses humeurs et s'exonère de toutes les règles du journalisme d'enquête: la vérification, le recoupement, la méticulosité, les témoignages contradictoires."


Il ne le dit pas clairement, mais on peut aussi penser que Péan, fidèle de Mitterrand, n'a jamais pardonné à Plenel d'avoir attaqué durement l'ex-président socialiste.

Pour contextualiser les propos de Péan, Médias a donc donné la parole à d'autres journalistes. Nicolas Beau, de Bakchich, le juge "idéaliste" mais lui donne plutôt raison : "Malheureusement , avec nos petits moyens, difficile de dépasser les fuites organisées pour mener des enquêtes de fond."

Denis Robert, qui a été fortement critiqué par Le Monde de Plenel pour ses enquêtes sur Clearstream et les paradis fiscaux, indique lui aussi, sans surprise, sa préférence pour le journalisme qui "vise à rendre publique une information cachée et de première main" plutôt que pour celui "qui consiste à récupérer des procès-verbaux ou à renvoyer des ascenseurs".

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