Grèce : le début d'une épreuve (Lordon)
Brève

Grèce : le début d'une épreuve (Lordon)

Hic Rhodus hic salta

. Par cet adage latin – "c’est ici qu’il faut sauter" – l’économiste Frédéric Lordon analyse dans un billet de blog la décision du premier ministre Alexis Tsipras de confier le sort de la Grèce au peuple invité à se prononcer par référendum sur les propositions de réformes des institutions européennes – qui n’hésitent pas à corriger en rouge le document officiel grec des négociations, ultime humiliation.

Si Lordon salue dans un premier temps le choix de Tsipras à qui "il faut une sacrée consistance pour faire face à ce mélange de périls et de chances qui s’offre à lui aujourd’hui – qui s’offre à lui ? non, qu’il a fait advenir en se tenant au plus près de l’essence de la politique : la proposition faite au peuple de décider souverainement" il esquisse rapidement les conséquences d’une décision qui peut conduire le pays vers une sortie de la zone euro… à moins que ce ne soit la Banque centrale européenne qui choisisse in fine de suspendre le refinancement des banques grecques. Auquel cas, selon l’économiste, "la Grèce sera forcée au réarmement de la Banque centrale grecque comme prêteur en dernier ressort, c’est-à-dire émetteur d’une liquidité qui ne sera pas reconnue par le SEBC (Système européen de banques centrales). On l’appellera de la drachme".

Ce retour à la drachme constituerait ce que l'économiste appelle "le moment du chaos", surtout si on tient compte de la "totale impréparation du gouvernement grec". De fait, la remise en circulation précipitée de cette monnaie nationale pourrait conduire à "un moment bizarre de double circulation monétaire pendant lequel des espèces émises par le système bancaire grec auront toutes les apparences de l’euro mais n’en seront pas moins des drachmes… qui en principe ne seront pas reconnues comme euros à l’extérieur alors même qu’elles leur ressembleront comme deux gouttes d’eau !"

De même, "avec la dévaluation carabinée de la drachme qui suivra sa réintroduction, les Grecs y perdront du pouvoir d’achat international". Rien d’insurmontable cependant : "les premières fluctuations sont toujours d’une ampleur extravagante, et vouées à s’ajuster plus raisonnablement à moyen terme" comme dans le cas de l’Islande cité par Lordon. A l’heure de la crise en 2008, la couronne islandaise a en effet "perdu près des trois quarts de sa valeur contre euro" et "laissé derrière elle une inflation de 18 %" avant de "se stabiliser 40 % en dessous de sa valeur de 2008". Aujourd’hui, l’inflation est désormais proche de zéro. "Il en ira vraisemblablement de même avec la drachme" estime l’économiste.

Autre inconvénient : la flambée des prix à l'importation. La solution est de mettre en place un dispositif protectionniste "ciblé sur les (certains) biens de consommation (hors énergie notamment), et ceci jusqu’à ce que les exportations «réagissent» à la dévaluation de la drachme". Mais, pour Lordon, le timing tombe mal : "de ce point de vue, la sortie de l’euro se passe au plus mauvais moment possible de l’année puisqu’il est trop tard pour que le tourisme, qui est le secteur le plus dynamique du commerce international grec, en enregistre l’effet, et qu’il faudra attendre la saison prochaine pour en recueillir les bénéfices." L’économiste regrette ainsi que la Grèce n’ait pas profité "de l’accord de prolongation passé avec l’Eurogroupe le 21 février dernier […] pour préparer logistiquement et politiquement la sortie".

Lordon prévient : "le début va être une épreuve" qui peut néanmoins aboutir à la fin de l’austérité et permettre d’"envoyer se faire foutre" les créanciers et les 26 milliards d’euros dus d’ici la fin 2015. Mais l’économiste ne cache pas que "la Grèce passera par le fond du trou. Elle y passera au pire moment d’ailleurs, quand Espagnols et Portugais, sur le point de voter, se verront offrir le spectacle du «désastre grec» comme figure de leur propre destin s’ils osaient à leur tour contester l’ordre de la monnaie unique" et, en cela, l’ordre néolibéral. "Pour nous qui souffrons des pouvoirs entièrement vendus à cet ordre", conclut Lordon, "être à la hauteur de l’éclaireur grec ne réclame pas moins que de nous retourner contre nos gouvernements".

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