Enquêtes banlieues : deux poids deux mesures ?
Brève

Enquêtes banlieues : deux poids deux mesures ?

Deux enquêtes sur les banlieues, deux destins médiatiques différents.

La première enquête a fait les gros titres du Monde, la semaine dernière : "Banlieue, Islam, l'enquête qui dérange". Commandée par l'institut Montaigne, elle était dirigée par le politologue Gilles Kepel, qui s'est immergé, à Clichy-sous-bois et Montfermeil (93) avec une équipe de cinq chercheurs. Sur son blog, le sociologue Laurent Mucchielli pointe le fait qu'une autre enquête, montrant des discriminations envers des musulmans à Marseille, n'a pas été médiatisée du tout.

De cette première enquête, Muchielli critique le choix du titre. "On ne comprend pas en quoi cette enquête "dérange"" déplore Mucchielli, contacté par @si. Le titre ne correspond pas, selon lui, au contenu du dossier. Dans son interview publiée dans Le Monde, Kepel constate "un renforcement du référent religieux " dans les quartiers pauvres, mais explique aussi que "cette revendication identitaire ne doit pas être prise au pied de la lettre : elle est aussi une manière de demander son intégration dans la société, pas forcément de rompre avec elle", cite Mucchielli sur son blog. Pas de quoi titrer sur l'Islam, donc, selon le sociologue. "Le Monde aurait donc pu titrer sur le chômage en banlieue", conclut Muchielli.

"C'est une enquête qui dérange les républicains et les partisans de la laïcité: là où la république est faible, là où des ghettos se sont créés, les gens ont besoin de se construire d'autres références" réplique Luc Bronner, du Monde. "La manchette est volontairement forte parce que le sujet est fort". (..) Les mots n'ont pas été choisis au hasard, ajoute-t-il : " ce n'est pas Islam ET banlieue, mais banlieue, islam" renchérit Didier Pourquery, rédacteur en chef, interrogé par le médiateur du journal, qui y a d'ailleurs consacré sa chronique.

Mucchielli pointe un second problème : la sous-médiatisation d'une autre enquête : "Les Marseillais musulmans", réalisée par Françoise Lorcerie et Vincent Geisser, chercheurs au CNRS, dans le cadre d'un programme de l’Open Society Foundation, créé par le financier milliardaire américain George Soros.

Pour lui, cette sous-médiatisation - comparée à celle de Kepel- est révélatrice d'un prisme "parisianiste" : seules les banlieues parisiennes intéresseraient. Or, "Marseille est la 2e plus grande ville de France, avec 30% de musulmans, et des particularités propres : une banlieue à l'intérieur de la ville, et une tradition ancienne pluriethnique". Autant de raisons, qui, selon lui, auraient justifié de parler de cette enquête dans un média national.

Il sous-entend aussi un autre motif à ce "deux poids deux mesures" : l'étude de Marseille pointe des discriminations envers les musulmans, et ne serait donc pas aussi intéressante pour les médias que lorsque l'on parle de montée en force de l'islam. "Il faut se poser la question du message que l'on veut envoyer quand on relaie une étude", souligne-t-il. "La personnalité de l'auteur, Vincent Geisser, a-t-elle joué ?", se demande encore Muchielli. Geisser avait en effet été soupçonné d'être proche d'un islam radical.

Au final, un seul article a traité de cette étude, souligne Mucchielli, il s'agit de La Provence, mais pour la descendre littéralement : la journaliste parle "d'une étude de cours élémentaire réalisée par deux chercheurs égarés". Un des deux auteurs, Françoise Lorcerie, a d'ailleurs envoyé un "droit de réponse" à La Provence.

Et Le Monde ? Le journal n'a pas souhaité la publier. "Il y a, sur ces thèmes, plusieurs enquêtes par semaine", souligne Bronner, "on ne peut pas tout publier". Il réfute tout choix en fonction de l'auteur : "nous avons déjà travaillé avec Vincent Geisser". "C'est une enquête très intéressante, mais c'est un travail difficilement exploitable journalistiquement : trop local, trop descriptif", explique à @si Stéphanie Le Bars, qui a décidé de ne pas traiter cette enquête. Elle souligne aussi des "conclusions qui ne sont pas d'un point de vue national, ni politique", contrairement au travail de Kepel. En l'occurence, l'enquête fait essentiellement des recommandations destinées la Mairie de Marseille.

Au Monde, on pointe aussi des "querelles de chapelle" entre chercheurs, qui pourraient motiver les revendications de Mucchielli. Celui-ci serait plus proche de Geisser dans son approche de l'Islam, que de Gilles Kepel.

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