DSK : les médias français, et la chambre à coucher
"Qui peut dire qu’il ignorait la réputation de DSK ? (...) On connaît la chanson. Nous aurions su et n’aurions rien dit. L’omerta régnait. Les rumeurs scabreuses, les racontars graveleux, le fameux milieu «médiatico-politique» se les gardait pour les dîners en ville mais se gardait bien de les publier", écrit dans son édito le directeur de Libé Nicolas Demorand. Quitte à ramer à contre-courant de l’époque et contrairement aux injonctions entendues ici et là, Libération continuera, premier principe, à respecter la vie privée des hommes et des femmes politiques."
Que savaient les journalistes ? Qu'ont-ils écrit ? Le quotidien a posé la question dans de nombreuses rédactions. "Au Point, en vente dès hier matin, pas de mea culpa quant à un secret que la presse française aurait trop bien gardé. «Heureusement qu’on ne parle pas des infidélités diverses, sinon on n’aurait pas fini, estime Sylvie Pierre-Brossolette, directrice adjointe de la rédaction. Tant que (...) les femmes ne portent pas plainte…»". Au Nouvel Observateur, le directeur délégué de la rédaction Renaud Dély affirme : "La presse a écrit que DSK avait une vie de séducteur et de dragueur. Nous avons raconté tout ce qui était racontable. Rien n’empêchait les donneurs de leçons d’aujourd’hui de les faire, ces papiers." Au Parisien, Philippe Martinat, chef du service politique, "considère que des choses ont été dites. Il voit un deuxième débat : «Nous avons entendu parler de ce côté dragueur lourd par le témoignage de nos consœurs. Elles ont préféré le gérer directement, et il était difficile d’en parler sans s’exposer à des procès pour diffamation.»" Le patron de l'info de France Télévisions, Thierry Thuillier, assure, lui que, dans les rédactions, on disait que c’était un séducteur, on ne disait pas que c’était un violeur potentiel."
A Libé, aussi, le débat a eu lieu, comme le détaille un second article, qui résume les positions au sein de la rédaction, sans donner les noms des journalistes qui s'expriment : "«Ce n’est pas parce qu’un homme politique drague de façon vulgaire et pesante qu’on doit forcément en faire état! Tant qu’il n’y a pas infraction ou agression caractérisée, au nom de quoi on va aller enquêter sur ça?»,se défendait hier un des chefs du service politique. (...) «Soit il y a des plaintes et alors il faut en parler, soit il n’y a pas de plainte et cela relève de la vie privée !», considère un journaliste de la page Portrait. «Moi, je considère que tout ce qui touche à la sexualité, à la santé et aux enfants illégitimes relève de la vie privée. Sur les histoires de fric, en revanche, pas de scrupules.»"
Le Canard s'arrête "à la porte de la chambre à coucher"
Dans une tribune publiée le Financial Times, Jean Quatremer (qui avait subi des pressions après avoir évoqué sur son blog les risques posés par le comportement de DSK ) ne fait pas mystère de ses positions. Il assure que personne n'a réellement enquêté sur la question, et le regrette : "Les médias se sont contentés de citer mon blog sans rien ajouter. En outre, le débat a eu lieu seulement en ligne, il n'y avait rien dans la presse écrite, la radio ou la télévision.C'est seulement après sa nomination que certains journaux ont cité ma note, en la mentionnant comme un incident au milieu du triomphe DSK au FMI. (...) Le tabou sur "vie privée" est solidement ancré en France: dès qu'il ya un soupçon de sexe, le rideau tombe. (...) Il est clair que la presse française n'a plus le choix: si les citoyens ne trouvent pas l'information dans les médias traditionnels, ils la trouveront en ligne."
La position de Quatremer fait gronder le Canard enchaîné, qui se fend d'un édito musclé en première page, titré "On vous l'avait bien (pas) dit" : "Ce n'est pas le peuple qui gronde, mais des confrères eux-mêmes qui gémissent. (...) Mais de quoi cause-t-on, au juste ? Les gazettes françaises ont couvert les agissements du satyre DSK... Ah bon, lesquels ? DSK courait les jupons et les boîtes échangistes. La belle affaire ! C'est sa vie privée, et elle n'en fait pas un violeur en puissance. (...) Pour Le Canard, l'information s'arrête toujours à la porte de la chambre à coucher."
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