Guillaume Meurice : "Pascal Praud est aussi un bouffon"

Arrêt sur images

Face à l'injustice sociale, à l'urgence climatique, à la désespérance des restrictions sanitaires, que peut l'humour ? Nous recevons l'humoriste de France Inter Guillaume Meurice, auteur du récent livre "Le roi n'avait pas ri" (Jean-Claude Lattès), pour é(...)

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L'émission
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  • Avec
    Guillaume Meurice
  • Presentation
    Daniel Schneidermann
  • Préparation
    Adèle Bellot
  • Réalisation
    Antoine Streiff
Offert par le vote des abonné.e.s
Face à l'injustice sociale, à l'urgence climatique, à la désespérance des restrictions sanitaires, que peut l'humour ? Nous recevons l'humoriste de France Inter Guillaume Meurice, auteur du récent livre "Le roi n'avait pas ri" (Jean-Claude Lattès), pour évoquer les rapports entre le comique et le pouvoir.

Les choses ont-elle changé entre le roi et son bouffon ? Et d'abord, qui est le roi aujourd'hui ? "Le pouvoir est toujours très vertical, et encore plus aujourd'hui avec Macron, donc le rôle de l'humoriste, dans cette structure, n'a pas tellement changé", explique Guillaume Meurice. "Mais toujours, paradoxalement, avec l'assentiment du pouvoir", reconnaît l'humoriste qui exerce sur le service public. "Quand on fait des blagues face à un ministre (...) on est vraiment face à une figure du pouvoir, l'incarnation, on va avoir l'autorisation de dire toute la vérité, notre vérité, sous forme de sarcasme comme à l'époque. Mais cette place là, on y est parce que France Inter nous en donne l'autorisation", explique-t-il. Ce qui l'a motivé à écrire Le roi n'avait pas ri, dans lequel il revient sur l'histoire de Triboulet, bouffon de François Ier, était de regarder "à quel point le pouvoir laisse de la place, mais une place toujours cadrée, pour sa critique, sa satire".

Même si aujourd'hui, le pouvoir est plus économique que politique, fait remarquer l'humoriste en évoquant le licenciement de Sébastien Thoen de Canal+ par Vincent Bolloré. Pourtant, fait remarquer Daniel Schneidermann, une chose a bien changé entre les humoristes d'aujourd'hui et les bouffons des rois de France : leur audience, qui n'est plus uniquement le pouvoir mais le grand public. Un aspect particulièrement visible lors de la venue de Gérald Darmanin en 2018, déjà ministre mais pas encore de l'Intérieur. "L'auditeur n'a pas la réaction de Darmanin, mais quand on voit la vidéo, c'est quasiment lui qui fait tout le travail de grotesque, sa tête est grotesque, la manière dont il s'efforce de nous prendre pour des cons du haut de sa petite suffisance est magnifique." Pourquoi n'avoir abordé la plainte pour viol contre le ministre qu'en toute fin de sketch ? "On aurait pu", répond Meurice. Il se dit par ailleurs "surpris" que Darmanin s'astreigne à un visage fermé là où nombre de responsables politiques, face à leurs bouffons médiatiques, rient un peu trop fort sur les conseils de leurs communicants. "On a eu Macron pendant la campagne (...) il se marrait, ce n'est pas une chronique dont on nous parle."

Dans Par Jupiter, l'émission humoristique de l'après-midi sur France Inter, la spécialité de Meurice consiste en des micro-trottoirs et interviews ponctuées de ses commentaires. Le 9 avril, l'humoriste appelle la sénatrice LR Jacky Deromedi à propos de son amendement destiné à supprimer les allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire, dans le cadre de la loi séparatisme. Celle-ci indique à plusieurs reprises que son amendement vise "les gens issus de l'immigration". Un vrai coup de chance pour Meurice, qui n'en attendait pas tant. La mise en scène de Meurice rend-elle la révélation plus efficace ou ne la désamorce-t-elle pas en permettant d'en rire avant de s'en indigner ? "Les deux", estime Meurice. "Ça met un focus sur cet événement là de la vie parlementaire, et c'est vrai que je ne me sens pas du tout l'âme d'un journaliste, je n'ai pas de carte de presse et ça me va très bien. (...) Ça reprend les codes du journalisme, ça oui, mais ça n'en est pas, en tout cas révéler un scandale n'est pas mon but."

Guillaume Meurice n'est pas le seul à mêler l'humour à des révélations comparables à un exercice journalistique. Notre journaliste Maurice Midena a ainsi consacré un article à de récentes vidéos de la performeuse et vidéaste "Marie s'infiltre", qui s'adonne elle aussi au micro-trottoir à vocation comique. Cette fois, elle a mis au jour ce que les télévisions françaises n'ont pas voulu voir ces derniers mois à propos de Dubaï. Contrairement aux multiples reportages mêlant plage, désert et luxe, Marie Benoliel (de son vrai nom) ne cache rien des conditions de vie insalubres des travailleurs immigrés, qu'elle met en contraste avec le faste des expatriés francophones. Elle raconte aussi la prostitution endémique de Dubaï, elle-même ayant d'ailleurs été considérée sur place comme une prostituée. Ou la haine anti-française d'expatriés qui s'offrent la belle vie sans impôts, tout en indiquant qu'ils reviendront se faire soigner en France au moindre pépin de santé, sécurité sociale oblige.

Retour au pouvoir, en l'occurrence celui de Radio France, la présidente Sibyle Veil, proche d'Emmanuel Macron, qui elle aussi a fait l'objet des blagues de Meurice. "C'est là où l'humour devient intéressant, il y a moins de risques de faire de l'humour sur scène, ou dans un festival social." Est-ce une contrainte stimulante ? "C'est stimulant de charrier ces figures du pouvoir, même si ce ne sont pas tellement les figures, les gens qui sont intéressants, mais la structure. Pendant les grèves, on savait que Sibyle Veil n'était qu'exécutante." Le risque reste cependant réel, comme le rappellent les licenciements successifs des humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon, débarqués de France Inter par le prédécesseur de Sibyle Veil, Philippe Val, afin de plaire à Nicolas Sarkozy, alors président de la République. "On peut subir le même destin."

Où est cette limite invisible entre poil à gratter accepté et humoriste licencié ? Une limite est-elle nécessaire ? "Dans mes chroniques, j'essaie au maximum de ne pas tomber dans l'injure publique ou dans la diffamation", répond Meurice. "J'ai une autre limite personnelle qui est la vie privée quand elle ne sert pas d'instrument de communication." Y compris à propos de la vie sexuelle des puissants ? "On fait du commentaire d'actu, de la dérision sur l'actu, à partir du moment où c'est dans l'actu (...) on s'en empare." Mais "ce n'est pas forcément parce qu'on est humoriste qu'on a le droit de tout dire, de tout faire". Une actualité a cependant échappé aux blagues de Meurice ces derniers mois : l'épidémie de Covid-19. Hormis quelques sketchs sur les complotistes anti-masques, l'humoriste de France Inter a été beaucoup moins prolixe que ses homologues sur d'autres radios et chaînes de télévisions. Meurice reconnaît ne pas avoir été très inspiré personnellement par ce sujet.

Un qui est inspiré par l'humoriste, c'est Pascal Praud, qui estime que sa présence sur le service public est "un scandale" à propos d'un tweet dans lequel il traduit l'acronyme "ACAB" (All Cops Are Bastards, soit "tous les policiers sont des bâtards") par "All Cops Are Bisounours" ("tous les policiers sont des bisounours") au moment même où la répression s'abat sur les manifestations de Gilets jaunes. "La traduction est juste en dessous, Pascal est pressé, il va de polémique en polémique", insiste Meurice en souriant. "À sa manière, certainement, c'est aussi un bouffon, souvent un peu triste. C'est dommage d'utiliser son temps de vie, sa présence médiatique, et pourquoi pas, allons jusque-là, son intelligence et sa culture, au service de la xénophobie, de la haine de tous les mouvements sociaux et de la bêtise crasse. Je suis sûr qu'il vaut mieux que ça."

Mais au service de qui  est le bouffon Praud ? "Bolloré s'en sert, comme le roi pouvait se servir de son bouffon pour régler ses comptes avec les courtisans", pointe Meurice, qui ne croit pas que Praud pense ce que son "personnage" exprime sur les plateaux. Face au basculement réactionnaire de CNews, mais aussi dans une moindre mesure de LCI, comment se battre ? "Je n'ai pas l'impression de me battre du tout, je ne suis pas dans un combat", répond l'humoriste. "À la limite, je suis dans une défense, un recul, un pas de côté. Je ne suis pas dans l'attaque, je n'ai pas envie de me battre avec ces gens-là (...) je les laisse tous seuls dans leurs thématiques crasse."

Retour en arrière, avec les sketchs de Meurice réalisés au début du mouvement des Gilets jaunes, dont un micro-trottoir dénigrant les manifestants, considérés, d'après Daniel Schneidermann comme des lepénistes voire des néo-nazis. Ce  sketch avait été très critiqué par les Gilets jaunes, comme aussi, à l'époque, le dessinateur du Monde Xavier Gorce (qui a quitté le journal entretemps). Meurice pense-t-il que le mouvement des Gilets jaunes est toujours lepéniste ? "Je ne l'ai jamais pensé", assure l'humoriste. "Les discours que j'ai entendus ce jour-là, car ce sont les discours qui m'intéressent, étaient «d'accord pour bloquer le pays mais en gros les fonctionnaires vous n'en avez rien à foutre», ou «il y a trop de migrants»."

Pourtant, ces discours n'étaient pas ceux de tous les Gilets jaunes. "Pourquoi vous vous mettez à me prendre pour un journaliste ?", contre Meurice. "Pourquoi ça ne vous dérange pas, sur les autres chroniques, que je diffuse précisément des extraits qui m'arrangent, parce que je fais ça vraiment tous les jours, (...) et vous me le reprochez là-dessus ? La caricature est ce que je fais tous les jours, je grossis le trait." Mais peut-on traiter de la même manière les puissants et ceux qui ne le sont pas ? "La caricature, c'est précisément ça" pour Meurice. "Ce qui m'intéresse n'est pas tellement les anonymes ou puissants, mais le discours, ces choses sans cesse répétées, ressassées, et qui finissent par devenir la vérité de ces personnes."

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