L'ambassade de Chine twitte et ment sur les Ouïghours
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L'ambassade de Chine twitte et ment sur les Ouïghours

Nous avons analysé quatre tweets de ce 24 décembre

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Pour tenter de masquer le sort fait aux Ouïghours du Xinjiang, l'ambassade de Chine en France s'est lâchée sur Twitter, en anglais et en français, ce 24 décembre. Une série de tweets qui ne suffiront pas à masquer les faits : l'endoctrinement, le travail forcé et les déportations de masse réservés aux 11 millions de membres de cette minorité musulmane. Zoom sur quatre tweets.

L'ambassade de Chine en France travaille même le 24 décembre. La preuve par son compte Twitter aux 28 000 abonnés qui a publié ce matin, en l'espace de quelques minutes, une pluie de tweets censés démontrer que les Ouïghours du Xinjiang sont traités comme les autres citoyens chinois. Le dossier est brûlant pour Pékin : les États-Unis viennent de durcir leurs règles d'importation de coton en provenance de Chine pour sanctionner le travail forcé imposé à la minorité musulmane ; en France, le ministre des Affaires Étrangères Jean-Yves Le Drian a lancé un appel à la responsabilité aux marques utilisant des matières premières produites au Xinjiang ; le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les exactions commises contre les minorités ethniques du Xinjiang, votée à une écrasante majorité (604 pour, 20 contre et 57 abstentions). 

Les camps de rééducation n'existeraient pas

Le 21 décembre, le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, tenait une conférence de presse relative à la situation au Xinjiang, dont la retranscription est disponible ici. Il était accompagné d'Ilijan Anayat, porte-parole du Bureau d'information du Xinjiang, organe gouvernemental. Un extrait en particulier a retenu l'attention du community manager de l'ambassade chinoise : celui concernant les camps de rééducation dans lesquels sont envoyés de force les Ouïghours. 

Dans sa déclaration, Ilijan Anayat affirme qu'il "n'y a pas de camps de rééducation au Xinjiang", mais des centres de "déradicalisation" et "d'éducation". Qu'en est-il vraiment ? Dès novembre 2019, le Consortium International des Journalistes (ICIJ) d'Investigation révélait, documents à l'appui, l'existence de véritables camps d'internement destinés à la population ouïghoure. Cellules fermées à clé, interdiction de tout contact avec le monde extérieur, vidéosurveillance permanente, "transformation idéologique" des prisonniers, obligation de boire de l'alcool ou de manger du porc, deux interdits de la religion musulmane : il s'agit d'un véritable système concentrationnaire. Des camps dont l'existence a également été prouvée par l'analyse de l'imagerie satellite. En septembre 2020, des chercheurs australiens ont ainsi montré comment la Chine multipliait la construction de ces camps (dont ils estiment le nombre à 380) dans toute la région du Xinjiang. 

Pour les femmes, aux privations de liberté s'ajoute l'horreur des violences sexuelles et de la contraception ou stérilisation forcées. En juillet 2020, Libération publiait le témoignage d'une enseignante ouïghoure qui racontait la pose forcée d'un stérilet dans un camp. Un témoignage corroboré par les chiffres du chercheur allemand Adrian Zenz, précurseur dans l'analyse du système concentrationnaire mis en place par le Parti communiste chinois, qui s'appuie principalement sur des documents officiels du pouvoir. Dans un rapport publié en juin 2020, il montre comment plusieurs préfectures du Sud-Xinjiang avaient prévu dès 2019 de poser des stérilets ou de ligaturer les trompes de près de 80% des femmes en âge d'enfanter. 

Le travail forcé, pierre angulaire du système

Deuxième tweet, deuxième tentative des autorités chinoises d'éteindre la polémique sur la situation des Ouïghours. Selon l'ambassade chinoise en France, les "bureaux de l'emploi" du Xinjiang, censés assurer un travail aux citoyens chinois, recevraient l'approbation de "tous les groupes ethniques"

Un message d'un rare cynisme, mais qui n'est pas publié par hasard : un vaste réseau de travail forcé a été révélé en décembre 2020 par Adrian Zenz, dans un rapport publié par Libération, la BBC et le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. L'ethnologue allemand met au jour le marché de travailleurs mis en place par le pouvoir central pour assurer aux entreprises productrices de coton, notamment, une main d'œuvre à bas coût, et surtout forcée. Cet esclavage moderne concernerait au moins 500.000 personnes issues des minorités musulmanes ouïghoure et kazakhe de la région du Xinjiang, qui travaillent dans les champs de coton sous la surveillance d'officiers dont la mission est de "leur inculquer «la gratitude envers le Parti» et (...) «une éducation de la pensée» pour les «libérer» de leur mode de vie traditionnel", écrit Libération. 

Le quotidien publie dans le même dossier le témoignage d'Habibula Mohamet, réfugiée en Turquie mais dont la sœur est toujours au Xinjiang. Mohamet a été enrôlée dans l'une de ces usines textiles où elle était nourrie et logée (en échange de ce "service", on lui prélève la quasi-totalité de son salaire), avec l'interdiction de retrouver sa famille pendant les vacances, les Ouïghours étant jugés "éléments dangereux" par Pékin. En février 2020, l'Australian Strategic Policy Institute  (ASPI) révélait comment l'usine absorbait des milliers de prisonniers devenus force de travail aux yeux du gouvernement chinois. L'ASPI estime notamment qu'en deux ans (entre 2017 et 2019) plus de 80 000 Ouïghours ont été déplacés de force vers d'autres régions de Chine pour travailler à l'usine, sous haute surveillance. Le rapport révèle l'identité des propriétaires des usines accueillant les travailleurs forcés ouïghours : des sous-traitants de dizaines de grandes marques occidentales comme Nike, Volkswagen ou encore Lacoste.

les enfants arrachés à leur famille

Autre tweet balancé par l'ambassade de Chine en France ce 24 décembre : des enfants d'une école du Xinjiang effectuant une chorégraphie en guise d'activité sportive. 

Encore une fois, la vidéo postée par l'ambassade de Chine est un pur élément de propagande. S'il est difficile de dire qui sont ces enfants en particulier, il est largement démontré que le sort des petits Ouïghours est entièrement soumis à la volonté de Pékin. L'ONG Human Rights Watch (HRW) a documenté des cas d'enfants ouïghours séparés de leurs parents, parfois depuis plusieurs années. Auprès de l'association, un père racontait en 2019 comment sa femmes et ses enfants s'étaient volatilisés alors qu'il vivait en Turquie. Il avait finalement repéré son fils, alors âgé de 4 ans, dans une vidéo de propagande du gouvernement chinois filmée dans un "orphelinat".

Encore une fois, c'est Adrian Zenz qui a fourni les preuves de ces séparations, et du sort réservé aux enfants ouïghours. Dans une étude publiée en juillet 2019, l'Allemand estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre d'enfants "placés" de force par Pékin, parfois déplacés dans d'autres régions pour désengorger les centres construits au Xinjiang. Une mesure de placement rendue nécessaire par... l'emprisonnement de leurs parents. Les enfants ouïghours, explique Zenz, sont poussés à dénoncer les pratiques religieuses des membres de leur famille, jugées "extrémistes" par Pékin, et ont interdiction de parler leur langue maternelle. Les plus jeunes enfants pris en charge par le gouvernement sont âgés de quelques mois.

L'architecture, arme de destruction massive

Dans la même heure, l'ambassade de Chine s'est félicitée de ce que Pékin avait fait construire au Xinjiang plus de trois millions de logements neufs. 

Là encore, la Chine tente par tous les moyens de cacher la réalité. Dès 2009, Pékin a entamé la destruction (sous couvert de le protéger d'un risque sismique) du quartier historique de Kashgar, ancien comptoir de commerce trônant sur la route entre Ankara et la capitale chinoise. Un quartier remplacé aussi sec par des complexes immobiliers modernes, des tours interminables et bien loin de l'identité ouïghoure de la ville. Pékin ne s'arrête pas aux maisons quand il s'agit de redéfinir le paysage et de le purger de toute marque culturelle indésirable. En 2019, l'AFP révélait la destructions de dizaines de cimetières musulmans, tantôt transformés en parcs, tantôt laissés à l'abandon et où l'on pouvait observer des "ossements à découvert"

Le nettoyage architectural de la région touche aussi les lieux de culte musulmans. L'année dernière, grâce aux satellites, le site d'investigation indépendant Bellingcat montrait comment plusieurs grandes mosquées (dont celles de Keriya et Kargilik) de la région avaient été sévèrement endommagées ou amputées d'une partie de leurs bâtiments. Plus récemment, un nouveau rapport de l'organisme australien ASPI accusait la Chine de milliers de destructions de lieux de culte musulmans. Après analyse des images satellites, les chercheurs estiment à 16 000 le nombre de mosquées endommagées ou détruites dans la région du Xinjiang (sur 24 000), et tablent sur la destruction de 30% des autres lieux de culte musulmans (cimetières, lieux de pèlerinage, etc.). L'ASPI note enfin que les mosquées endommagées le sont souvent pour des raisons purement visuelles : ce sont les dômes et les minarets qui sont visés, et supprimés par Pékin. Une façon d'effacer encore un peu plus l'identité ouïghoure de la région.

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