"Il ne faut plus servir de caution à Vincent Bolloré"
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L'émission
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  • Avec
    Isabelle Roberts et David Assouline et Alexis Lévrier
  • Presentation
    Nassira El Moaddem
  • Préparation
    Adèle Bellot
  • Réalisation
    Antoine Streiff
Offert par le vote des abonné.e.s

Trois semaines. Trois semaines que les journalistes du Journal du dimanche sont en grève contre la nomination à leur tête de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, ami proche de Marion Maréchal Le Pen et d'Éric Zemmour – pour lequel il a fait ouvertement campagne à l'élection présidentielle de 2022. Ce mouvement de grève, suivi par 97 % de la rédaction, est historique pour le JDD, un titre régulièrement accusé d'accompagner la politique du pouvoir en place. Avant les journalistes du JDD, ceux d'iTélé, d'Europe 1 et de Paris Match ont tenté de se battre, en vain, contre un rouleur compresseur nommé Vincent Bolloré. 

Un combat perdu d'avance, tant les médias français manquent de garde-fous pour protéger leur indépendance face à leur actionnaire. Pour décrypter les enjeux de cette grève, nous recevons David Assouline, sénateur de Paris, rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias ; Isabelle Roberts, cofondatrice et présidente des Jours elle chronique depuis plusieurs années l'influence néfaste de Bolloré dans les médias qu'il rachète ; et l'historien des médias Alexis Lévrier.

"Vincent Bolloré, c'est le mot interdit"

Depuis le début du mouvement, le monde audiovisuel est assez discret sur la grève des journalistes du Journal du dimanche. Si France 2 a couvert la soirée de soutien organisée par Reporters sans frontières mardi 27 juin 2023, diffusée dans son journal de 20 h, le reportage ne mentionnait même pas le nom de Vincent Bolloré. "Vincent Bolloré, c'est le mot interdit, réagit Isabelle Roberts. On ne veut pas se fâcher avec un industriel aussi puissant que lui. Même le service public ! D'ailleurs, le service public est très souvent la cible du groupe de Vincent Bolloré, que ce soit CNews ou Europe 1. Le service public, dans son ensemble, est considéré très régulièrement comme un repère de gauchistes qui ne ferait preuve d'aucun pluralisme. C'est le retournement de la charge qui est typique de ce groupe." 

"Ca me surprend, ça me désole, commente Alexis Lévrier. En même temps, je remarque qu'Anne-Sophie Lapix a le courage d'appeler un chat un chat et de dire que Valeurs actuelles est un journal d'extrême droite. Geoffroy Lejeune est un journaliste d'extrême droite, tout son engagement le prouve. Dans la bataille culturelle que mène l'extrême droite médiatique, il y a d'abord une bataille lexicale. On l'a vu dans la campagne : ils sont capables d'imposer les mots qu'ils veulent comme avec le «grand remplacement». Il faut se battre pied à pied."


Boycotter CNews ? "J'appelle tous les hommes politiques républicains à le faire"

Que faire alors ? Répondre quand même aux questions des journalistes des médias désormais sous la coupe de Bolloré ? Ne pas accepter les invitations en plateau ?  David Assouline dit avoir tranché la question depuis la grève des journalistes d'iTélé. "J'avais soutenu la grève, j'avais dit que je ne me rendrai plus jamais sur les plateaux.  Je n'y suis jamais allé depuis." Le sénateur refuse même de répondre aux reporters de la chaîne d'information au Sénat. "C'est arrivé aux avant-dernières questions d'actualité. Il y avait un micro tendu de LCI et un micro tendu de CNews. Je me suis ostensiblement tourné vers l'objectif de la caméra de LCI, j'ai répondu, mais ensuite quand une question m'a été posée de l'autre côté, j'ai continué mon chemin. Faudrait que tout le monde le fasse. J'appelle tout le monde à le faire, tous les hommes politiques républicains et en particulier, les socialistes." Une manière, souligne David Assouline, de couper l'herbe sous le pied de Vincent Bolloré, qui s'enorgueillit souvent d'avoir des médias pluralistes. "Il faut lui enlever cette arme-là, il faut mettre à nu le projet de Bolloré et donc ne pas lui servir de caution."

Clauses de confidentialité :  "Très peu de journalistes victimes de Vincent Bolloré peuvent crier"

Lors de la soirée de soutien de Reporters sans frontières à la rédaction en grève du Journal du dimanche, le journaliste et réalisateur, Jean-Pierre Canet est revenu sur la censure de son documentaire à Canal+, alors que Vincent Bolloré venait de devenir l'actionnaire principal de la chaîne via Vivendi. "Il est temps que la profession se réveille. Il ne faut pas avoir peur, il faut prendre la parole", a-t-il témoigné sur scène. Des propos dans la même veine que ceux tenus au site des Jours par Caroline Fontaine, journaliste de Paris Match licenciée en raison de ses prises de positions en interne contre la bollorisation du titre. "Le problème c'est que très peu de journalistes victimes de Vincent Bolloré peuvent crier car la plupart des départs se font au termes de négociations avec des clauses de confidentialité dans les contrats qui les empêchent de parler. Pour Caroline Fontaine, c'est très conflictuel car elle les attaque aux prud'hommes, analyse Isabelle Roberts. D'ailleurs, c'est pour cela qu'elle le fait, pour pouvoir parler. […] En ce qui concerne les journalistes du JDD, il y a une phrase de Vincent Bolloré, que je cite toujours, prononcée au tout début de sa prise de pouvoir à Canal+: «La terreur fait bouger les gens». Si les journalistes du JDD ne sont pas sur votre plateau, c'est qu'il ne veulent pas plus s'exposer que ça. Ils sont dans une situation extrêmement délicate."

Pap Ndiaye ET Rima Abdul-Malak, "victimes d'une cabale raciste"

Personne au gouvernement ne s'est prononcé en faveur des journalistes du JDD. Sauf le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui au micro de Radio J, a dit son soutien à ceux qui "ne veulent pas entrer dans la galaxie des publications contrôlées par un personnage qui est manifestement très proche de l'extrême droite la plus radicale". Sa prise de position a attiré les foudres de Laurence Ferrari, présentatrice de CNews et Louis de Raguenel, chef du service politique-police-justice d'Europe 1, qui s'en est pris aux ministres "woke" du gouvernement. "C'est sa façon de dire les deux ministres noir et arabe, décrypte David Assouline. C'est sa façon policée d'éviter d'être taxé de raciste. Mais moi je dis que ce monsieur est un raciste et que je suis prêt à assumer cela s'il venait à vouloir me contredire devant les tribunaux." 

Pour aller plus loin

"L'Empire" et "L'héritier", les deux séries des Jours sur la mainmise médiatique de Vincent Bolloré.
- Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale du 31 mars 2022 sur la concentration des médias.
- Le documentaire "Système B : l'information selon Vincent Bolloré" de Reporters sans frontières.
- Le documentaire "Media Crash"sorti en février 2022, produit par Mediapart et Premières Lignes.


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