Israël à Gaza : "lève-toi et tue le premier"
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Israël à Gaza : "lève-toi et tue le premier"

"If these words reach you..." Ce sont les mots du dernier post sur X de Anas Al-Sharif, journaliste à Al Jazeera, rédigé au printemps dernier, quelques mois avant que sa tente soit atteinte par un missile israélien, le 10 août 2025. Elle était dressée devant l'entrée d'un hôpital de Gaza. Quatre autres journalistes sont morts dans le même tir ciblé. "Si ces mots vous atteignent, continue le texte posthume, vous saurez que l'armée israélienne a réussi à me tuer et à faire taire ma voix".

L'armée israélienne a assuré que Al-Sharif était membre du Hamas. Il existe au sein de cette armée une unité spécialement chargée de collecter des éléments laissant peser une suspicion sur les journalistes palestiniens, pour les discréditer. Aucun élément précis, en l'occurence, n'a été divulgué par l'armée, même si sur les réseaux sociaux, des comptes anonymes exhument un post Telegram du journaliste du 7-Octobre 2023, glorifiant l'attaque terroriste du Hamas. Que certains journalistes palestiniens collaborent à des médias du Hamas, et gardent dans leurs téléphones des selfies "avec tel ou tel membre du Hamas ou d'une autre organisation, parce que ces gens représentent pour eux la résistance à l'occupant", comme le rappelait une enquête d'ASI, n'est pas, au regard du droit international, un motif de "permis de tuer", pour reprendre le titre du dernier livre du géopoliticien Pascal Boniface.

Depuis sa création en 1948, et même auparavant, Israël pratique l'assassinat ciblé à haute intensité. Toutes sortes d'assassinats ciblés. Sur son territoire et à l'étranger. Dans des "pays cibles" et dans des "pays amis". Par le tir de sniper, l'explosif placé sous la voiture, le bombardement, l'empoisonnement au dentifrice, ou récemment, au Liban, le sabotage de bipers. La liste exhaustive, jusqu'en 2018, en est énumérée dans un livre étourdissant, Lève- toi et tue le premier (Grasset, 2020) du journaliste israélien Ronen Bergman, du journal Yediot Aharonot.

Je viens de terminer de lire ce livre, passé relativement inaperçu lors de sa sortie en France il y a cinq ans (ici la recension de Libération). Bergman n'est nullement un pacifiste, ni un pro-palestinien. Il a eu accès aux meilleures sources, maîtres espions, exécuteurs, ex-premiers ministres, en les incitant habilement à raconter leurs exploits, pour ne pas en laisser le bénéfice à des services concurrents. Dans une interview accordée au Figaro lors de la sortie de son livre en France, il affirmait que "les assassinats ciblés permettent de défendre une démocratie". Il sera donc, j'imagine, hautement crédible aux yeux de celles et ceux pour qui leurs confrères comme Anas Al-Sharif ne le sont pas.

Son enquête n'en est que plus glaçante. Pas seulement par la liste méticuleuse des exécutions ciblées "jamesbondesques", réussies ou ratées. Mais parce qu'elle retrace comment les scrupules initiaux, politiques et,  selon l'auteur, moraux du jeune Etat (alors très attentif à son image en occident, et sourcilleux notamment sur le risque de provoquer des victimes collatérales parmi les civils non visés) se dissolvent au fil des décennies et des succès militaires. Jusqu'à arriver à la réalité barbare quotidienne d'aujourd'hui, dans une totale impunité.


Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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